Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/143

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Les tems qui précéderoient ce dernier changement seroient des tems de troubles & de calamités ; mais à la fin tout seroit englouti par le monstre, & les peuples n’auroient plus de chefs ni de loix, mais seulement des tyrans. Des cet instant aussi il cesseroit d’être question de mœurs & de vertu : car par-tout où regne le despotisme cui ex honesto nulla est spes, il ne souffre aucun autre maître ; si-tôt qu’il parle, il n’y a ni probité ni devoir à consulter, & la plus aveugle obéissance est la seule vertu qui reste aux esclaves.

C’est ici le dernier terme de l’inégalité, & le point extrême qui ferme le cercle & touche au point d’où nous sommes partis : c’est ici que tous les particuliers redeviennent égaux, parce qu’ils ne sont rien, & que les sujets n’ayant plus d’autre loi que la volonté du maître, ni le maître d’autre regle que ses passions, les notions du bien & les principes de la justice s’évanouissent derechef. C’est ici que tout se ramene à la seule loi du plus fort, & par conséquent à un nouvel état de nature différent de celui par lequel nous avons commencé, en ce que l’un étoit l’état de nature dans sa pureté, & que ce dernier est le fruit d’un exces de corruption. Il y a si peu de différence d’ailleurs entre ces deux états, & le contrat de gouvernement est tellement dissous par le despotisme, que le despote n’est le maître qu’aussi long-tems qu’il est le plus fort, & que, si-tôt qu’on peut l’expulser, il n’a point à réclamer contre la violence. L’émeute qui finit par étrangler ou détrôner un Sultan, est un acte aussi juridique que ceux par lesquels il disposoit la veille des vies & des biens de ses sujets. La seule force le maintenoit, la seule force le