Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/398

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les mœurs publiques suppléent au génie des chefs ; & plus la vertu règne, moins les talens sont nécessaires. L’ambition même est mieux servie par le devoir que par l’usurpation : le peuple convaincu que ses chefs ne travaillent qu’à faire son bonheur, les dispense par sa déférence de travailler à affermir leur pouvoir ; & l’histoire nous montre en mille endroits que l’autorité qu’il accorde à ceux qu’il aime & dont il est aimé, est cent fois plus absolue que toute la tyrannie des usurpateurs. Ceci ne signifie pas que le Gouvernement doive craindre d’user de son pouvoir, mais qu’il n’en doit user que d’une manière légitime. On trouvera dans l’histoire mille exemples de chefs ambitieux ou pusillanimes, que la mollesse ou l’orgueil ont perdus, aucun qui se soit mal trouvé de n’être qu’équitable. Mais on ne doit pas confondre la négligence avec la modération, ni la douceur avec la foiblesse. Il faut être sévère pour être juste : souffrir la méchanceté qu’on a le droit & le pouvoir de réprimer, c’est être méchant soi-même. Sicuti enim est aliquando misericordia puniens, ita est crudelitas parcens. Aug. Epist. 54.

Ce n’est pas assez de dire aux citoyens, soyez bons ; il faut leur apprendre à l’être ; & l’exemple même, qui est à cet égard la première leçon, n’est pas le seul moyen qu’il faille employer. l’amour de la patrie est le plus efficace ; car comme je l’ai déjà dit, tout homme est vertueux quand sa volonté particuliere est conforme en tout à la volonté générale, & nous voulons volontiers ce que veulent les gens que nous aimons.

Il semble que le sentiment de l’humanité s’évapore & s’affoiblisse