Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/511

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corrompre vos gens en place, & que la grande affaire de votre Gouvernement est de travailler à les rendre incorruptibles.

Si l’on me dit que je veux faire de la Pologne un peuple de capucins, je réponds d’abord que ce n’est là qu’un argument à la Françoise, & que plaisanter n’est pas raisonner. Je réponds encore qu’il ne faut pas outrer mes maximes au delà de mes intentions & de la raison, que mon dessein n’est pas de supprimer la circulation des especes, mais seulement de la ralentir, & de prouver sur-tout combien il importe qu’un bon systême économique ne soit pas un systême de finance & d’argent. Lycurgue pour déraciner la cupidité dans Sparte n’anéantit pas la monnoie, mais il en fit une de fer. Pour moi je n’entends proscrire ni l’argent ni l’or, mais les rendre moins nécessaires, & faire que celui qui n’en a pas soit pauvre sans être gueux. Au fond, l’argent n’est pas la richesse, il n’en est que le signe ; ce n’est pas le signe qu’il faut multiplier, mais la chose représentée. J’ai vu, malgré les fables des voyageurs, que les Anglois au milieu de tout leur or n’étoient pas en détail moins nécessiteux que les autres peuples. Et que m’importe après tout d’avoir cent guinées au lieu de dix, si ces cent guinées ne me rapportent pas une subsistance plus aisée ? La richesse pécuniaire n’est que relative, & selon des rapports qui peuvent changer par mille causes, on peut se trouver successivement riche & pauvre avec la même somme, mais non pas avec des biens en nature ; car comme immédiatement utiles à l’homme ils ont toujours leur valeur absolue qui ne dépend point d’une opération de commerce. J’accorderai que le peuple Anglois est plus riche que les autres peuples, mais