Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t1.djvu/512

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il ne s’ensuit pas qu’un bourgeois de Londres vive plus à son aise qu’un bourgeois de Paris. De peuple à peuple celui qui a plus d’argent a de l’avantage ; mais cela ne fait rien au sort des particuliers, & ce n’est pas là que gît la prospérité d’une nation.

Favorisez l’agriculture & les arts utiles, non pas en enrichissant les cultivateurs, ce qui ne seroit que les exciter à quitter leur état, mais en le leur rendant honorable & agréable. Etablissez les manufactures de premiere nécessité ; multipliez sans cesse vos bleds & vos hommes sans vous mettre en souci du reste. Le superflu du produit de vos terres qui par les monopoles multipliés va manquer au reste de l’Europe, vous apportera nécessairement plus d’argent que vous n’en aurez besoin. Au delà de ce produit nécessaire & sûr, vous serez pauvres tant que vous voudrez en avoir ; si-tôt que vous saurez vous en passer, vous serez riches. Voilà l’esprit que je voudrois faire régner dans votre systême économique. Peu songer à l’étranger, peu vous soucier du commerce ; mais multiplier chez vous autant qu’il est possible & la denrée & les consommateurs. L’effet infaillible & naturel d’un Gouvernement libre & juste est la population. Plus donc vous perfectionnerez votre Gouvernement, plus vous multiplierez votre peuple sans même y songer. Vous n’aurez ainsi ni mendians ni millionnaires. Le luxe & l’indigence disparoîtront ensemble insensiblement, & les citoyens, guéris des goûts frivoles que donne l’opulence, & des vices attachés à la misere, mettront leurs soins & leur gloire à bien servir la patrie & trouveront leur bonheur dans leurs devoirs.