Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/85

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LETTRE VIII. [1]


À Julie.


Quels sont, belle Julie, les bizarres caprices de l’amour ! Mon cœur a plus qu’il n’espéroit, & n’est pas content ! Vous m’aimez, vous me le dites, & je soupire ! Ce cœur injuste ose désirer encore, quand il n’a plus rien à désirer ; il me punit de ses fantaisies, & me rend inquiet au sein du bonheur. Ne croyez pas que j’aie oublié les loix qui me sont imposées, ni perdu la volonté de les observer ; non : mais un secret dépit m’agite en voyant que ces loix ne coûtent qu’à moi, que vous qui vous prétendiez si foible êtes si forte à présent, & que j’ai si peu de combats à rendre contre moi-même, tant je vous trouve attentive à les prévenir.

Que vous êtes changée depuis deux mois, sans que rien ait changé que vous ! Vos langueurs ont disparu : il n’est plus question de dégoût ni d’abattement ; toutes les grâces sont venues reprendre leurs postes ; tous vos charmes se sont ranimés ; la rose qui vient d’éclorre n’est pas plus fraîche que vous ; les saillies ont recommencé ; vous avez de l’esprit avec tout le monde ; vous folâtrez, même avec moi, comme auparavant ; &, ce qui m’irrite plus que tout le reste ; vous

  1. On sent qu’il y a ici une lacune, & l’on en trouvera souvent dans la suite de cette correspondance. Plusieurs lettres se sont perdues, d’autres ont été supprimées, d’autres ont souffert des retranchemens ; mais il ne manque rien d’essentiel qu’on ne puisse aisément suppléer a l’aide de ce qui reste.