Page:Rugendas - Voyage pittoresque dans le Brésil, fascicule 17, trad Golbéry, 1827.djvu/7

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dans de plus amples détails sur les diverses situations dans lesquelles les place successivement la singulière destinée qu’ils doivent à leur couleur, tant pendant leur traversée pour l’Amérique, que dans les colonies elles-mêmes.

C’est, sans aucun doute, pendant leur trajet d’Afrique en Amérique que la situation des Nègres est le plus affreuse : il n’est que trop vrai qu’en supposant que pour ce temps, les circonstances soient les plus favorables, leurs souffrances n’en sont pas moins telles qu’aucune description ne serait complète, quand même on oserait abandonner à l’imagination la plus active le soin de peindre ce tableau de ses véritables couleurs. L’artiste ne pourrait être autorisé à représenter de pareilles scènes, s’il n’en adoucissait l’expression autant que possible.

Malheureusement on ne peut se dissimuler (et d’ailleurs l’expérience le prouve) que les mesures prises par les puissances européennes pour réprimer le commerce des esclaves loin de restreindre ce funeste trafic, ont beaucoup empiré le sort des milliers d’individus qui en sont chaque année les victimes. La postérité qui, peut-être, aura sur les caractères et sur le but de la civilisation des idées plus nettes, s’étonnera d’apprendre qu’un phénomène politique, tel que la traite des Nègres, ait pu durer des siècles, sans qu’il se soit élevé la moindre réclamation sur son injustice et sur ce qu’elle a de préjudiciable même aux intérêts des nations qui y participent ; mais elle s’en étonnera probablement moins, elle y croira plus facilement qu’à une autre vérité tout aussi triste, c’est qu’après que les puissances qui prétendent à la civilisation eurent proclamé solennellement que ce commerce infâme était la honte du siècle, il ne fut cependant rien arrêté de positif pour l’anéantir, ni même pour diminuer les maux qui en sont inséparables : c’est que, loin de là, il en est résulté, soit par le défaut de conscience des législateurs, soit par la négligence ou la perfidie de ceux qui devaient faire observer les lois, une espèce de garantie négative, d’assurance d’impunité pour le mal.

Que peut-on dire de plus positif sur la nature et sur les progrès de ces excès, que ce qu’annoncent les résultats eux-mêmes ? On enlève annuellement environ cent vingt mille Nègres de la côte d’Afrique pour le seul Brésil, et rarement il en parvient plus de quatre-vingt à quatre-vingt-dix mille à leur destination. Il en périt donc à peu près un tiers pendant une traversée de deux mois et demi à trois mois. Que l’on réfléchisse à la cruelle impression que doit faire sur le Nègre sa séparation violente d’avec tout ce qui lui est cher, à l’effet que produisent le plus profond abattement ou la plus terrible exaltation de l’esprit réunis à toutes les privations du corps, à toutes les souffrances du voyage, et l’on ne s’étonnera plus de ces affreux résultats. Ces malheureux sont