Page:Ruskin - Sésame et les lys.djvu/21

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chant pieds nus sur son tapis inconnu ; alors, cette vie secrète, on a le sentiment de l’enfermer avec soi quand on va, tout tremblant, tirer le verrou ; de la pousser devant soi dans le lit et de coucher enfin avec elle dans les grands draps blancs qui vous montent par-dessus la figure, tandis que, tout près, l’église sonne pour toute la ville les heures d’insomnie des mourants et des amoureux.

Je n’étais pas depuis bien longtemps à lire dans ma chambre qu’il fallait aller au parc, à un kilomètre du village[1]. Mais après le jeu obligé, j’abrégeais la fin du goûter apporté dans des paniers et distribué aux enfants au bord de la rivière, sur l’herbe où le livre avait été posé avec défense de le prendre encore. Un peu plus loin, dans certains fonds assez incultes et assez mystérieux du parc, la rivière cessait d’être une eau rectiligne et artificielle, couverte de cygnes et bordée d’allées où souriaient des statues, et, par moment sautelante de carpes, se précipitait, passait à une allure rapide la clôture du parc, devenait une rivière dans le sens géographique du mot — une rivière qui devait avoir un nom, — et ne tardait pas à s’épandre (la même vraiment qu’entre les statues et sous les cygnes ?) entre des herbages où dormaient des bœufs et dont elle noyait les boutons d’or, sortes de prairies rendues par elle assez marécageuses et qui, tenant d’un côté au village par des tours informes, restes,

  1. Ce que nous appelions, je ne sais pourquoi, un village est un chef-lieu de canton auquel le Guide Joanne donne près de 3.000 habitants.