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DES BIENFAITS, LIVRE III.

vulgaire bienfait de la naissance ne soit éclipsé par cette sublime piété filiale et par cet héroïsme dont je ne saurais dire si la patrie recueillait plus de sécurité que de gloire ?

XXXIV. Enfin, si ce n’est assez de tout cela, figure-toi un fils qui arrache son père à la torture et qui s’y soumet à sa place. Tu peux étendre aussi loin que tu voudras les bienfaits du fils, tandis que celui du père était simple et facile, et même accompagné de plaisir pour le bienfaiteur, et nécessairement prodigué par lui à bien d’autres sans le savoir, bienfait où la mère est de moitié, où il avait en vue les lois du pays, les prérogatives des pères, la perpétuité de sa maison et de sa race, toute autre chose enfin que l’être auquel il donnait le jour. Et celui qui, parvenu à la sagesse, l’aura enseignée à son père, discuterons-nous encore s’il a plus donné que reçu, lui qui rend à son père une vie heureuse, quand il n’a reçu que la vie ? « Mais, dit-on, c’est à votre père que vous devez d’agir en tout comme vous faites et de lui rendre tant de services.» Et à mon précepteur aussi je dois les progrès de mon éducation libérale. Je n’en ai pas moins dépassé ceux qui m’en ont transmis les principes et surtout ceux qui m’ont appris les premiers éléments ; et encore que sans eux on ne saurait faire un pas dans la science, il n’en résulte point que, quelque pas qu’on ait fait, on reste au-dessous d’eux. Grande est la distance des commencements à la perfection ; est-ce à dire que les uns soient comparables à l’autre, parce que, sans le début, on ne peut monter jusqu’au terme ?

XXXV. Mais il est temps de produire des raisons marquées pour ainsi dire à notre coin. Tant qu’il existe des bienfaits plus grands que les siens, le bienfaiteur peut être surpassé : un père donne la vie à son fils ; mais il y a quelque chose de meilleur que la vie : un père peut donc être surpassé, puisqu’il y a quelque chose de plus grand que son bienfait. Et même celui qui a donné la vie à un autre, si cet autre le sauve une et deux fois de la mort, a plus reçu qu’il n’a donné : or le père a donné la vie ; il peut donc, s’il est plusieurs fois délivré de la mort par son fils, recevoir un bienfait plus grand que le sien. Qui reçoit un bienfait reçoit d’autant plus que son besoin était plus grand : or la vie est un plus grand besoin pour le vivant que pour celui qui n’est pas né et qui par conséquent ne peut avoir aucun besoin. Le père doit donc plus à son fils, s’il reçoit de lui la vie, que le fils ne reçoit du père en naissant. Pourquoi le fils ne pourrait-il vaincre le père en bienfaits ? Parce qu’il tient