Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/59

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périsse : il ne servait de rien à Atticus d’avoir eu pour gendre Agrippa, pour mari de sa petite-fille Tibère, Drusus César pour arrière-petit-fils ; au milieu de ces noms célèbres nul ne parlait de lui, si le grand orateur ne se l’était associé. L’océan des âges viendra s’amonceler sur nous ; quelques génies élèveront leurs têtes, et avant de mourir un jour ou l’autre dans le même silence, lutteront contre l’oubli et sauront longtemps se défendre6. Ce qu’Épicure a pu promettre à son ami, je te le promets à toi, Lucilius. J’aurai crédit chez la postérité : il m’est donné de faire durer les noms que j’emporte avec moi7. Notre Virgile a promis à deux jeunes hommes une mémoire impérissable et il tient parole :

Couple heureux ! si mes vers sont faits pour l’avenir,
Jamais ne s’éteindra votre doux souvenir,
Tant que le Capitole à sa roche immortelle
Enchaînera le monde et la ville éternelle[1].

Tous les hommes que la Fortune a poussés sur la scène, tous ceux qui furent les dépositaires et les bras du pouvoir ont vu leur crédit prospère, leurs palais hantés de flatteurs tant qu’eux-mêmes sont restés debout ; après eux leur mémoire s’est promptement éteinte. Mais le génie ! sa gloire croît sans cesse ; et en outre de nos hommages que lui-même recueille, tout ce qui se rattache à sa mémoire est bienvenu. Il ne faut pas qu’Idoménée soit gratuitement arrivé sous ma plume ; il payera le port de ma lettre. C’est à lui qu’Épicure adresse cette remarquable pensée, pour le dissuader d’enrichir Pythoclès par la voie ordinaire, toujours douteuse : « Si tu veux enrichir Pythoclès, n’ajoute point à son avoir, retranche à ses désirs. » Pensée trop claire pour qu’on l’interprète, trop bien rendue pour qu’on l’appuie de réflexions. Je ne te ferai qu’une observation : ne crois pas que ce mot soit dit seulement pour les richesses ; à quoi qu’on l’applique, il aura la même force. Veux-tu rendre Pythoclès honorable, n’ajoute point à ses honneurs, retranche à ses désirs. Veux-tu que Pythoclès jouisse perpétuellement, n’ajoute pas à ses jouissances, retranche à ses désirs. Veux-tu que Pythoclès arrive à la vieillesse et à une vie pleine, n’ajoute point à ses années, retranche à ses désirs. Ne crois pas que ces maximes appartiennent en propre à Épicure : elles sont à tout le monde. Ce qui se fait souvent au sénat doit se

  1. Nisus et Euryale, Énéide, IX, 446