Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/53

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Nos nombreuses affections, en apparence si opposées,
n’ont toutes qu’un même principe ; elles n’ont aussi qu’un
même but, soit qu’elles y tendent directement en cherchant
ce qui y conduit, ou indirectement en repoussant

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ce qui en éloigne ; mais la plupart concourent en même
tems par ces deux voies à leur fin commune, et l’ambition
elle-même, ce desir d’être plus que les autres, peut

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être justement | considéré comme la crainte d’être moins ;
toutes ses iniquités viennent originairement du sentiment

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de l’égalité. Le plus ambitieux des hommes ne l’eût pas
été s’il l’eût été seul ; il ne s’élève au-dessus de tous que
dans la crainte qu’un seul s’élève au-dessus de lui-
même.
De la perpétuelle versatilité entre ce que l’on desire et

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ce que l’on craint, ce que l’on cherche et ce que l’on
évite, se forme un besoin de rapprocher ces extrêmes,
une sorte de goût pour un accord plus paisible entre eux,
un sentiment de délicatesse [S 1], modération que les ames
foibles portent dans toutes choses, et les ames fortes

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  1. Dans nos sociétés actuelles, cette délicatesse, ce tact subtil,
  1. C,Xe Rêv., p. 51-57 = l. 126-150 ; note 7 ; l. 151-204 et notes 8-11. – 126. Les nombreuses affections de l’homme, si opposées en apparence, n’ont – 128. but : elles y – 129-30. ce qui fait partie du but même, ou indirectement en évitant ce qui en éloigneroit et le plus souvent elles concourent – 131-5. la fin commune. L’ambition elle-même peut être justement considérée ainsi dans ce désir d’être plus que les autres, on voit surtout la crainte d’être moins qu’eux. Le plus – 136. seul : il s’élève – 136-9. tous, de peur qu’un autre ne s’élève au-dessus de lui. Les iniquités que le pouvoir se permet, auroient-elles leur origine dans le sentiment de l’égalité ? Les peuples libres ont été des peuples oppresseurs. * L’état versatile où l’on est perpétuellement entre – 140-5. ce qu’on cherche et ce qu’on évite, donne le besoin de rapprocher les impressions extrêmes, et d’y mettre plus d’accord. C’est une modération qui est dans le goût, c’est la délicatesse des sensations. Les âmes fortes n’en suivent les lois que dans les choses vulgaires ; mais les âmes foibles en font le principe d’une foiblesse nouvelle en voulant y soumettre les choses importantes. * Des hommes ordinaires sont susceptibles de délicatesse ; car ils veulent –