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1672

283. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, lundi 6e juin.

Ma bonne, je ne reçus point hier de vos lettres : c’est un grand chagrin pour moi. Je me suis imaginé que vous aviez été occupée à recevoir Mme de Monaco. Ce qui me console, c’est que vous êtes en lieu de planter choux[1], et que vos Alpes, ni votre mer Méditerranée ne sauroient plus vous faire périr. J’ai bien sué en pensant aux périls de votre voyage.

Ma tante a reçu encore aujourd’hui le viatique dans la pensée de faire le sien[2] où elle est appliquée avec une dévotion angélique. Sa préparation, sa patience, sa résignation, sont des choses si peu naturelles, qu’il faut les considérer comme autant de miracles qui persuadent la religion. Elle est entièrement détachée de la terre ; son état, quoique infiniment douloureux, est la chose du monde la plus souhaitable à ceux qui sont véritablement chrétiens. Elle nous chasse tous, comme je vous ai déjà dit ; et quoique nous ayons dessein de lui obéir, nous croyons quelquefois qu’elle s’en ira plus tôt encore que nous. Enfin nous voyons un jour ; et si je n’étois accoutumée depuis quelque temps à ne point faire ce que je desire, je vous manderois dès aujourd’hui de ne me plus

    guières, seconde fille du maréchal Charles de Créquy et tante du comte de Sault (voyez les notes 12 de la lettre 269, et 2 de la lettre 271). Elle avait épousé en 1617 Nicolas de Neuville, plus tard (1646) maréchal de Villeroi. Elle ne mourut qu’en janvier 1675.

  1. Lettre 283. — 1. C’est le texte de toutes les anciennes éditions, si l’on en excepte celle de la Haye, qui donne « planter des choux. » Voyez la note 8 de la lettre 217. — La fin de la phrase : « et que vos Alpes, etc., » manque dans les éditions de 1726.
  2. 2. « Dans la vue de faire le sien. » (Édition de 1754.)