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faire une grande amitié, on y va bien vite, et je vois bien par là qu’il y fait fort chaud.

Vous voulez savoir comment j’ai supporté le chagrin de n’avoir pas été auprès du Roi pendant cette campagne. Avec toutes les peines du monde. Ma philosophie, qui me sert fort bien sur l’état de ma fortune, est une bête quand il est question de me consoler de n’avoir pas passé le Rhin à la vue du Roi.

Vous me demandez comment je ferois, si j’étois son historien, pour persuader à la postérité les merveilles de sa campagne. Je dirois la chose uniment, et sans faire tant de façons, qui d’ordinaire sont suspectes de fausseté, ou au moins d’exagération ; et je ne ferois pas comme Despréaux, qui dans une épître qu’il adresse au Roi, fait une fable des actions de sa campagne, parce, dit-il, qu’elles sont si extraordinaires, qu’elles ont déjà un grand air de fable[1].

Vous me demandez ce que je crois que dira la postérité sur l’état de ma fortune, après les services que j’ai

  1. 2. Voici les vers de Boileau :

    Il faut au moins du Rhin tenter l’heureux passage.
    ................
    Muses, pour le tracer, cherchez tous vos crayons ;
    Car puisqu’en cet exploit tout paroît incroyable,
    Que la vérité pure y ressemble à la fable,
    De tous vos ornements vous pouvez l’égayer.

    Les critiques que fit Bussy de l’Épître au Roi furent rapportées à l’auteur, et il paraît que d’abord Boileau promit de s’en venger ; mais Bussy sollicita les bons offices du P. Rapin, provoqua une démarche du comte de Limoges, et la querelle fut prévenue. Voyez au tome II de sa Correspondance la lettre insolente, pleine de menace, que Bussy écrivit le 10 avril 1673 au P. Rapin, et que celui-ci sans doute n’eut garde de montrer ; la lettre du comte de Limoges (du 26 avril), rendant compte de son entrevue avec le poëte ; et les deux lettres courtoises (du 25 et du 30 mai) qu’échangèrent Boileau et le comte de Bussy.