Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/158

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1679 cela se tournoit en placets à M. Colbert, et devenoit à rien. Il est vrai que j’ai un peu bourdonné, et me suis si bien placée[1] sur le nez du chevalier, que je suis persuadée qu’il me la rapportera de Saint-Germain ; je ferai le reste[2] la chicane de son rhumatisme l’a empêché d’en prendre plus tôt le soin6. J’admire comme en toutes choses, grandes et petites, vous êtes malheureux. M. de Saint-Géran l’est encore plus que vous : c’est un homme perdu ; il est tombé des nues, il ne parle plus, et tout le monde est ravi de cette mortification[3]. Il a eu de grands coups auprès de Sa Majesté. Le premier a été par le comte de Gramont ; prenez son ton : « Sire, dit-il il y a quelque temps, je vous demande la charge de premier écuyer de Madame la Dauphine ; peut-être Votre Majesté ne me jugera pas digne de cet emploi ; mais quand je vois le gros Saint-Géran qui y prétend, je crois, Sire, que je puis bien vous nommer le pauvre comte de Gramont. » Sur cela on pense et on fait des réflexions. Il y a eu des choses plus fortes[4] : ce comte trouva l’autre jour Saint-Géran à deux genoux dans la chapelle, qui ne faisoit pas semblant de regarder toute la cour, qui y étoit. « Mon ami, lui dit-il en lui frappant sur l’épaule, il faut vous consoler avec Jésus-Christ. » Le Roi même en pensa éclater. Il disoit hier à Monsieur le Dauphin devant le Roi : « Monseigneur, je vous supplie de dire à Madame la Dauphine qu’il n’a pas tenu à moi que je n’aie été de sa maison ; j’en prends le Roi à témoin. » On dit que l’on partira à la fin de janvier pour aller épouser cette princesse. N’êtes-vous pas bien contente de tous les choix

  1. 4. « Plantée. » (Édition de 1754.)
  2. 5. « L’avoit empêché de s’en mêler plus tôt. » (Ibidem.)
  3. 6. Voyez la lettre de Mme de Sévigné à Mme de Grignan, du 10 janvier 1680.
  4. 7. « Plus fortes encore. » (Édition de 1754.)