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MARQUIS DE SADE — 1779
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d’âme pour ne plus récidiver. Il y a bien six mois qu’il ne s’informe plus si je suis au nombre des vivants ou des morts. Si mon attachement avait été de la nature du sien, il me donnait des armes à refroidir le zèle et le désir que je porte à sa liberté ; bien loin de là, je souhaite et attend ce moment comme celui qui doit lui faire connaître ses torts ; une fois persuadé, il verra que j’étais digne de tout autre sentiment. Ma vengeance se bornera uniquement à lui faire regretter l’amie qu’il aura perdue. S’il réfléchit, il sera assez puni.

Gothon vous en fera accroire toutes les fois que cela lui plaîra. Si elle a bien mis dans sa tête de dissimuler, elle vous fera avaler la pilule sans que vous vous en doutiez ; soyez sûr de cette vérité.

Je serais bien fâchée que vous prissiez pour une plaisanterie les sentiments que je vous porte. Il n’y a de faux dans mes expressions que la folie que j’entortille quelquefois d’un peu de polissonnerie pour égayer mes réflexions sombres. Tout le reste est bon et vrai. Rapportez-vous en à mon cœur qui est honnête et trop sensible, et à ma sincérité qui, quand elle a dit deux fois : « Je vous aime », est un article de foi. Ainsi, plus de méfiance ni de doute… La légèreté n’est pas de mon caractère, je la laisse à ceux qui ne savent pas aimer. Comme je vous crois de très bons principes sur l’étendue de la bonne et pure amitié, je reçois votre témoignage avec reconnaissance ; je vous fais l’hommage de ce que j’ai de plus pur. Que quelqu’un montre que je lui en ai écrit autant ! Je les en défie. Si des envieux veulent troubler notre repos, envoyons-les faire f… Souvenez-vous que vous m’avez dit mille fois que vous étiez mon ami. Je suis convaincue de cette vérité, non parce que vous me l’avez dit, mais parce que mon cœur me tyrannise depuis longtemps à vous donner sans équivoque l’assurance de mon plus tendre attachement.

P.-S. Il y a près d’un an que M. le marquis n’a écrit en Provence. Si quelqu’un se vante avoir reçu cet honneur depuis peu, dites-leur hardiment qu’ils en ont menti.

Ce 12 novembre 1779.

Plaignez-moi donc un peu, monsieur l’avocat. Voilà huit jours que je suis malade. J’ai pris l’ipécacuana, l’émétique, et aujourd’hui encore une médecine en toute règle. Je suis mieux, grâce à mon humeur couleur de rose qui m’a toujours tirée de tous les mauvais pas. Si vous aviez pu me tâter le pouls, vos doigts auraient plus fait de sensation sur ma peau que toute la pharmacie d’Esculape. Madame de Sade, qui ne veut rien laisser perdre, a tout rempli mon papier. Adieu.


Mademoiselle de Rousset crache le sang et écrit à Gothon qu’elle est soignée par la Jeunesse. (11 novembre 1779).

Votre lettre, mademoiselle Gothon, me remplit d’allégresse, mais elle