Page:Sainte-Beuve - Portraits littéraires, t1, nouv. éd.djvu/174

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Et que, sans nul respect des hommes ou du lieu,
Il faut que j’obéisse aux fureurs de ce dieu.

Oh ! qu’il aimerait bien mieux, en honnête compagnon qu’il est,

S’égayer au repos que la campagne donne,
Et, sans parler curé, doyen, chantre ou Sorbonne,
D’un bon mot fait rire, en si belle saison,
Vous, vos chiens et vos chats, et toute la maison !

On le voit, l’art, à le prendre isolément, tenait peu de place dans les idées de Regnier ; il le pratiquait pourtant, et si quelque grammairien chicaneur le poussait sur ce terrain, il savait s’y défendre en maître, témoin sa belle satire neuvième contre Malherbe et les puristes. Il y flétrit avec une colère étincelante de poésie ces réformateurs mesquins, ces regratteurs de mots, qui prisent un style plutôt pour ce qui lui manque que pour ce qu’il a, et, leur opposant le portrait d’un génie véritable qui ne doit ses grâces qu’à la nature, il se peint tout entier dans ce vers d’inspiration :

Les nonchalances sont ses plus grands artifices.

Déjà il avait dit :

La verve quelquefois s’égaye en la licence.

Mais là où Regnier surtout excelle, c’est dans la connaissance de la vie, dans l’expression des mœurs et des personnages, dans la peinture des intérieurs ; ses satires sont une galerie d’admirables portraits flamands. Son poëte, son pédant, son fat, son docteur, ont trop de saillie pour s’oublier jamais, une fois connus. Sa fameuse Macette, qui est la petite-fille de Patelin et l’aïeule de Tartufe, montre jusqu’où le génie de Regnier eût pu atteindre sans sa fin prématurée. Dans ce chef-d’œuvre, une ironie amère, une vertueuse indignation, les plus hautes qualités de poésie, ressortent du cadre étroit et des circonstances les plus minutieusement décrites de la vie