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LE CERCLE HIPPIQUE DE MÉZIÈRES-EN-BRENNE.


LE CERCLE HIPPIQUE
DE MÉZIÈRES-EN-BRENNE
par un habitant de la vallée-noire

GÉOGRAPHIE.

Le voyageur qui, venant d’Orléans, a traversé la Sologne aride, les plaines nues de Vatan, et enfin la brande d’Ardentes ou celle de Saint-Aoust, s’arrête ravi, à l’entrée de la Vallée-Noire. Quand il embrasse des hauteurs de Corlay, ou de celles de Vilchère, l’immensité de cet abîme de sombre verdure, relevé à l’horizon par les montagnes bleues de la Marche et du Bourbonnais, il croit entrer dans le paradis terrestre.

S’il remonte l’Indre jusque vers sa source, il aura à Sainte-Sévère et jusque vers Boussac de nouveaux enchantements. S’il la redescend par Buzançais et Chatillon, il contemplera encore une suite de beaux et vastes paysages, qui lui rappelleront les grands horizons de la Vallée-Noire.

Ou bien s’il gagne la Creuze vers le Pin, et qu’il descende avec elle jusqu’à Fontgombault, il traversera une petite Suisse ravissante, et il aura parcouru la plus belle partie du département et une des plus riantes contrées de la France.

En somme, ce département est sillonné par deux admirables vallées, celle de l’Indre, qui lui donne son nom, et celle de la Creuse, avec les ravins pittoresques de ses affluents torrentueux. Mais, entre ces deux régions profondes, fraîches et riches, s’étend un plateau uni, triste, malsain et pauvre : c’est la Brenne.

Si vous regardez la Brenne figurée sur les vieilles cartes enluminées de Cassini, la physionomie d’une contrée si sauvage vous serrera le cœur ; pas de chemins, pas de villages, des espaces immenses sans un clocher, sans une ferme, sans un bosquet. Partout des étangs semés à l’infini dans la bruyère. Les nouvelles cartes départementales ne la montrent guère plus florissante.

Cependant la Brenne n’est ni aussi laide, ni aussi morte qu’elle le paraît dans ses portraits. Pour les yeux du peintre ou du romancier, cette rase terre, inondée en mille endroits, cette folle végétation d’herbes inutiles, qui s’engraissent dans le limon, ne manquent pas de caractère. Il y a même une certaine poésie de désolation dans ces plaines de roseaux desséchés par la canicule. On se croirait loin, bien loin de la France, dans quelque désert où l’homme n’aurait point encore pénétré. Si l’on peut trouver un tertre, un donjon, le château du Bouchet, par exemple, et que la vue parvienne à planer sur une grande étendue de terrain, cela est aussi beau, dans son genre, que nos tableaux chéris de l’Indre, de la Creuze ou de la Bouzanne.

HABITANTS RICHES ET PAUVRES.

Pour la vie de château, la Brenne est une terre promise. Il y a là de riches manoirs, de vastes espaces à parcourir pour la chasse, ou à fertiliser par la culture, du gibier en abondance et de gros revenus… plus gros en réalité que ceux de nos terres grasses, dont la moindre parcelle se vend au poids de l’or et ne peut fructifier en raison de sa valeur numéraire. Il y a en Brenne un magnifique avenir pour les riches : car les améliorations commencent à porter leurs fruits, et quiconque veut y verser des capitaux, peut déjà reconnaître qu’avec des engrais et des travaux d’irrigation ce sol devient fertile et généreux.

Que la richesse se tourne donc vers l’agriculture ; que le gouvernement l’aide, et la Brenne, qui a déjà plusieurs routes importantes, aura des canaux, des moissons, des haras, de vastes fermes et de riches villages.

Tout cela est commencé, et déjà une apparence de bien-être se fait sentir. Depuis quelques années surtout la Thébaïde du Berry n’est plus reconnaissable. Elle se pare, elle se peuple, elle s’assainit. Le pauvre en profite… dans la limite que l’ordre social lui assigne, et ce n’est guère ! Mais enfin c’est mieux que rien, et les efforts du riche pour doubler la richesse de la terre sont plus agréables à voir que l’incurie ou l’abandon, puisque l’indigence peut ramasser, du moins, les miettes d’une table bien servie.

Hélas ! hélas ! n’y aurait-il pas un chemin plus droit pour aller plus vite au secours de la misère, plus large surtout, pour que tous les hommes pussent y passer de front ?

Mais à quoi bon soupirer ? Ceux qui sont aux affaires de l’État ont bien d’autres soucis en tête que les affaires de l’humanité.

Pour ne parler que de ce qui serait possible dès à présent, je voudrais que l’État voulût acheter des terres en Brenne, en Sologne, dans la Marche, dans les landes de Bordeaux, dans tous ces pays incultes que ravage la fièvre, et que dépeuple la misère. Il en aurait de grandes étendues à vil prix. Il y établirait ces nombreuses familles de misérables, qui n’ont d’autres ressources que celles du brigandage ou de la mendicité. Il les rangerait sous la loi d’une communauté éclairée et dirigée officiellement par lui. Il leur ferait, en instruments de travail, les avances nécessaires. Le pays défriché, assaini, et fertilisé par ces travailleurs, verrait s’élever de riches colonies… mais c’est un rêve ! Il faudrait consacrer quelques millions chaque année à la prospérité de l’homme, et le gouvernement ne marche point sur ces jambes-là. Il veut que le riche s’enrichisse encore et que le pauvre disparaisse par les moyens naturels, à l’usage des sociétés modernes, le vol ou la mort.

Aucune religion sociale, aucune pensée humaine dans l’esprit des gouvernants ne venant en aide, les devoirs des grands propriétaires à l’égard de leurs pauvres pay-