Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/174

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vigueur et d’impatience, du pain et de l’instruction… C’est ce qu’ils venaient d’obtenir pour eux, c’est ce qu’ils ne pouvaient pas obtenir pour leurs frères.

Ceci est l’historique des petites émotions que souleva dans le monde littéraire et administratif l’apparition de ces poëtes-artisans : débats éphémères qui furent oubliés avant d’avoir reçu une conclusion, ainsi que tous les événements quotidiens dont s’alimente et regorge la presse parisienne.

Heureusement la province est moins oublieuse et moins blasée que la capitale. Chaque ville, chaque département resta fidèle à l’humble ouvrier qui lui avait donné du plaisir et de la gloire. Rouen continua à être fière de son potier d’étain et de son calicotier ; le département de Seine-et-Marne, de son tisserand ; Nevers, de son tailleur ; Fontainebleau, de son menuisier ; Agen, de ses deux coiffeurs ; Nîmes de son boulanger ; Dijon, de sa couturière[1] ; Toulon, de son maçon, et ainsi des autres : car la liste en serait longue, et chaque année y ajoute de nouveaux noms. La province montre en ceci son bon sens et sa force morale. Tandis que Paris lui enlève tous ses autres produits intellectuels, ses penseurs et ses écrivains de la classe bourgeoise, ses acteurs, ses musiciens, ses sculpteurs et ses peintres, au moins ses poètes de la classe laborieuse lui restent, et trouvent sur le sol natal leur succès et leur récompense. Ils y trouvent aussi leur inspiration ; et comme la province ne leur est point ingrate, ils ne sont pas ingrats envers elle : ils lui versent le charme de leur poésie, en même temps qu’ils lui offrent les services de leur industrie.

  1. Marie Carpentier.