Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/43

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les terres et sur les eaux l’ineffable mélancolie de ses dernières lueurs. La nature paraît bien grande à l’homme lorsque, dans un long recueillement, il entend le roulement des ondes sur la rive solitaire, dans le calme d’une nuit encore ardente et éclairée par la lune qui finit.

» Indicible sensibilité, charme et tourment de nos vaines années, vaste conscience d’une nature partout accablante et partout impénétrable, passion universelle, indifférence, sagesse avancée, voluptueux abandon, tout ce qu’un cœur mortel peut contenir de besoin et d’ennui profond, j’ai tout senti, tout éprouvé dans cette nuit mémorable. J’ai fait un pas sinistre vers l’âge d’affaiblissement, j’ai dévoré dix années de ma vie. Heureux l’homme simple dont le cœur est toujours jeune ! »

Dans tout le livre, on retrouve, comme dans cet admirable fragment, le déchirement du cœur, adouci et comme attendri par la rêveuse contemplation de la nature. L’âme d’Obermann n’est rétive et bornée qu’en face du joug social. Elle s’ouvre immense et chaleureuse aux splendeurs du ciel étoile, au murmure des bouleaux et des torrents, aux sons romantiques que l’on entend sous l’herbe courte de Titlis. Ce sentiment exquis de la poésie, cette grandeur de la méditation religieuse et solitaire, sont les seules puissances qui ne s’altèrent point en elle. Le temps amène le refroidissement progressif de ses facultés inquiètes ; ses élans passionnés vers le but inconnu où tendent toutes les forces de l’intelligence se ralentissent et s’apaisent. Un travail puéril, mais naïf et patriarcal, senti et raconté à la manière de Jean-Jacques, donne le change au travail funeste de sa pensée, qui creusait incessam-