Page:Sand - Questions d’art et de littérature, 1878.djvu/69

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autres, mais qui proteste de toute sa force ingénue contre les couvents, les livres, l’esclavage des noirs, les corsets et les souliers. Aussi, un sentiment de tristesse et de regret s’empare de nous, lorsque nous la voyons arriver à Madrid, jouissant à douze ans de tout l’éclat d’une précoce jeunesse, ignorante, passionnée, un peu sauvage, fatiguée du poids de ses longs cheveux noirs, chantant sans art et sans méthode les airs de son pays, à la grande surprise de sa mère, qui ne soupçonnait ni cette belle voix, ni cette rare beauté, ni cette âme chaleureuse, languissante et prête à mourir lorsque le froid et la neige viennent pour la première lois attrister son cœur et crisper ses fibres. Ce premier hiver, et cette gêne sociale, l’étrangeté de ces salons où elle se sent isolée, cette involontaire jalousie contre une sœur (sans doute injustement préférée), jalousie qu’elle combat avec force et générosité dans son propre cœur ; tout cela est d’un intérêt profond, et nous ne connaissons pas de combinaison romanesque plus attachante que cette histoire véritable d’une destinée rentrée dans les voies ordinaires du monde et détachée de la liberté naturelle comme un fruit savoureux arraché à un arbre des déserts.

Le grand défaut des femmes qui racontent leur jeunesse est de se souvenir d’elles-mêmes avec un peu trop d’amour. L’adulation dont elles sont entourées les encourage trop à parler de leur beauté, de leurs nobles qualités, de leurs heureuses dispositions. Nous avouons qu’en général cela nous paraît contraire à la pudeur encore plus qu’à la modestie. Il y a un peu de courtisanerie dans cette description de leur personne physique et morale qu’un éditeur publie. Il y a cependant des pudeurs si vraies et des beautés