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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

tout ce qui établirait la morale sur l’anthropologie, tout ce qui réduirait l’impératif catégorique à un fait de conscience, Kant, dans le Fondement, l’écarte expressément et plus d’une fois : car cela serait empirique. — Et pourtant, ce sont ces expressions échappés à Kant, qui ont enhardi ses disciples, et les ont engagés bien loin dans cette voie. Fichte (La Doctrine des Mœurs réduite en système, p. 49) nous en avertit nettement : « Il ne faut pas se laisser séduire à cette pensée, de vouloir expliquer mieux la conscience de nos devoirs, la déduire des principes différents d’elle-même : ce serait faire tort à la dignité, au caractère absolu de la loi. » L’excuse est belle ! — Et plus loin, p. 66 : « Le principe de la moralité est une pensée, qui s’appuie sur l’intuition intellectuelle que nous avons, de l’activité en soi de l’intelligence : elle est par elle-même le concept immédiat de l’intelligence pure. » Ô les charmantes fleurs, pour cacher d’un fanfaron l’embarras ! — Veut-on se convaincre de l’état d’oubli, d’ignorance où peu à peu sont tombés les Kantiens, à l’égard du procédé primitif de Kant pour fonder, pour déduire la loi morale ? on n’a qu’à revoir un écrit fort digne d’être lu, qui est de Reinhold, dans ses contributions, etc. 2e livraison, 1801. Ibid. p. 105 et 106, on trouve cette affirmation : « Dans la philosophie de Kant, l’autonomie (qui ne fait qu’un avec l’impératif catégorique) est un fait de conscience ; il ne faut pas vouloir la réduire à rien d’autre car elle est connue directement par la conscience. » — Mais alors elle est fondée sur l’anthropologie, sur l’expérience ! ce qui contredirait les explications expresses et réitérées de Kant. — On ne lit pas moins ceci à la p. 108 du même livre : Dans la philosophie Critique, comme aussi dans toute philosophie Transcendante, épurée ou supérieure, l’autonomie est ce qui se sert à soi-même de base, ce qui n’est pas capable d’en avoir une autre et qui n’en a pas besoin, le vrai primitif, la chose vraie et certaine par soi, la vérité première, le prius κατ’ ἐξόχην[1], le principe

  1. « Ce qui est premier par excellence. » (TR.)