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LES FORMES DÉRIVÉES DE LA MORALE SELON KANT.

dit comme dans une profondeur pleine de révélations. Cette morale, elle, ne connaît, ne peut voir qu’une seule espèce, celle qui proprement possède toute valeur, dont le caractère est la raison, et cette raison est la condition sous laquelle seule un être peut devenir un objet de respect moral.

C’est par ce chemin scabreux, « per fas et nefas », qu’enfin Kant arrive à la seconde formule du principe essentiel de son éthique : « Agis de manière à traiter l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans celle d’autrui, toujours comme étant, elle aussi, une fin, jamais comme un pur moyen. » C’est prendre un tour bien compliqué et cherché de bien loin, pour dire : « Aie égard non pas à toi seul, mais aussi aux autres » ; formule qui elle-même n’est qu’une expression détournée de la proposition : « Quod tibit fieri non vis, alteri ne feceris » ; ne l’oublions pas, celle-ci ne fait que fournir les prémisses pour cette conclusion, le but véritable et commun de toute morale : « Neminem læde, imo omnes, quantum potes, juva. » Or, en cette proposition, comme partout, la vérité est d’autant plus visible qu’elle est plus nue. — Toute l’utilité de cette seconde formule de la morale de Kant, c’est qu’il y peut enfermer, à bon escient, mais non sans peine, les prétendus devoirs envers soi-même.

Une autre objection à faire à cette formule, c’est que le coupable, quand on va l’exécuter, se voit traité, avec raison et justice pourtant, comme un simple moyen, et nullement comme une fin : c’est en effet le seul procédé possible pour conserver à la loi, qu’on accomplit ainsi, la force dont elle a besoin pour effrayer : ce qui est le but unique en pareille occasion.

Maintenant, si cette seconde formule de Kant ne nous avance en rien pour l’établissement de la morale, s’il est impossible d’y voir l’expression complète et directe des préceptes de cette morale, le principe suprême, elle a toutefois un mérite : elle nous offre un apperçu[1] digne d’un fin moraliste, elle nous apprend

  1. En français, et avec cette orthographe, dans le texte. (TR.)