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CENT DIX-HUITIÈME HISTOIRE TRAGIQUE DE BELLEFOREST.

Les dames et demoiselles, qui n’eussent jamais pensé une telle déloyauté, ni si dénaturée volonté et lâche fait d’un père, s’en allèrent s’ébattre d’un et d’autre côté, laissant ce misérable couple enclos seul en une chambre, où la solitude, l’amour, la fureur et la beauté donnèrent moyen au père de mettre en exécution ce que si longuement il avait souhaité. Car, quelque résistance que la princesse lui sût et pût faire, et quoique avec plusieurs belles, saintes et naturelles raisons, elle s’efforçât de le détourner d’un forfait si méchant, et tant abhorré de tout le monde, si lui fut-il impossible d’apaiser et adoucir la furieuse rage du meurtrier de sa virginité : car il la força et viola avec autant d’impiété comme était obligé à chose contraire, et étant père, qui doit être soigneux de l’honneur et vertu de ses enfants, et pour être roi, l’office duquel l’oblige à punir les fautes si exécrables que celles qu’il venait de commettre. Dès qu’il eut fait son coup, il n’arrêta guère avec la violée, ains se retira aussitôt, mais non qu’il ne l’eût un peu consolée, et lui promit de la faire si grande qu’elle aurait occasion de se contenter. Et comme il voulut passer outre, voyant que la princesse s’enfuyait et tempêtait pour l’outrage enduré, il sortit la laissant avaler son courroux et colère. Sur ces entrefaites, voici entrer la dame d’honneur qui l’avait en charge, laquelle, voyant la fille toute échevelée, larmoyante et sanglante, fut toute effrayée et ne savait que penser, ains demeura longtemps immobile et sans dire un seul mot ; enfin, prenant cœur, elle s’enquit de la princesse, d’où lui procédait une si grande tristesse.

— Ah ! ma mère, dit la misérable fille, naguère que deux excellents noms ont été effacés et perdus en cette chambre.

— Qu’est cela ? dit la nourrice, répondez, madame, et ne me célez rien, afin qu’à mon possible je puisse y donner quelque remède.