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CENT DIX-HUITIÈME HISTOIRE TRAGIQUE DE BELLEFOREST.

Apollonie étant sur le point de se retirer vers son hôte le pêcheur, la princesse ne voulut l’endurer, ains lui envoyant or, argent, habits, meubles et autres choses nécessaires, commanda qu’il fût logé près du palais, espérant l’approcher davantage, et le rendre si agréable au roi, et qu’Apollonie serait en repos, et elle contente en son âme. Ce ne fut pas tout, car la jeune fille, qui jamais n’avait su que c’était que d’amour, étant couchée en son privé, pensant s’endormir comme de coutume, se vit ravir le sommeil par des idées se représentant en son esprit, et lui peignant au vif, et la face, et la grâce, et la disposition, et la gentillesse d’Apollonie.

Le lendemain, se levant bien plus matin que de coutume, elle vint trouver le roi son père, auquel, ayant donné le bonjour aussi humblement que mignardement, comme son père s’enquît d’où venait qu’outre la coutume elle venait si matin en sa chambre, elle eut sa réponse toute prête, disant : — Monseigneur, si c’est faute digne de punition que d’aimer son semblable, je suis punissable, qui étant fille d’un tel roi que vous, suis affectionnée vers un prince, qui n’est en rien moindre que moi ; ains qui me surpasse et en sang, et en richesses. Et si je mérite blâme de rejeter vos vassaux pour choisir un mari de mon rang et calibre, je vous en fais juge, qui savez que vaut l’aune de la grandeur, et combien les dames de ma sorte souhaitent d’être apariées en lieu égal à la maison dont elles sont sorties. Et à fin de ne vous détenir longuement, Monseigneur, vous savez quels sont les mérites, les grâces, vertus ; savoir et noblesse du prince tyrien Apollonie, et s’il est digne qu’on fasse compte de lui, encore que pour le présent il soit assailli de fortune, et qu’il soit privé de ses terres et seigneuries. C’est lui que j’aime de telle sorte, pardonnez-moi, monsieur, que si je ne l’ai à mari, ce sera ce jour le dernier de votre fille.