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APPENDICE.

Ce disant, elle se mit à pleurer et soupirer, tellement qu’on eût dit que le cœur lui devait partir du ventre, et par le défaut de la parole, connut le roi, qu’elle était férue au vif, et qu’il ne fallait point la contrister davantage. À cette cause il lui dit :

— Et pourquoi est-ce, m’amie, que vous vous tourmentez ainsi ? Qui est-ce qui vous a offensée ? De qui est-ce que vous formez complainte ? Vous a-t-on refusé encore chose honnête que vous ayez demandée ? Eh bien, ma fille, vous aimez Apollonie, il est digne d’être aimé et mérite bien d’épouser une aussi grande princesse ou plus que la fille du roi des Cyrénéens. Je ne blâme point que vous l’aimez, l’aimer étant chose naturelle, joint que bien aimant, j’ai été fait votre père : par ainsi, je veux que vous épousiez celui qu’avez voulu pour mari, et qu’Apollonie jouisse de ma fille, qui est la chose la plus chère et la plus précieuse que j’aie au monde : et suis grandement joyeux de ce choix que vous avez fait, d’autant qu’il correspond du tout à mon désir…

En somme le mariage fut arrêté, et conclu et célébré au grand contentement et allégresse des parties, et joie de tous les Cyrénéens, qui avaient pris Apollonie en amitié, et qui espéraient avoir doux traitement de ce prince après le trépas du roi Archestrate. Voici les aises qui délivrent Apollonie de tout souci, ou plutôt qui l’avertissent des assauts plus dangereux que lui apprêtait déjà la fortune. Le voici de pauvre, nu, banni et dépouillé de tout bien, devenu riche, puissant, mari d’une belle et sage princesse, et l’héritier présomptif d’une fertile et abondante province.

Ce n’est pas tout, vu que (comme si le ciel eût plu sur lui tout à un coup ce qu’il a de doux et de favorable) le sixième mois après ses noces, comme il se promenait avec son épouse déjà enceinte, et laquelle il aimait plus que soi-même, le long de la marine, il vit une flotte de vaisseaux qui venait surgir au port de Cyrène. Et à la façon des na-