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CENT DIX-HUITIÈME HISTOIRE TRAGIQUE DE BELLEFOREST.

Ces paroles de la princesse tirèrent les larmes des yeux de plusieurs des Tyriens voyant la sincère affection qu’elle portait à son mari ; et le même Apollonie ne pouvait céler sa passion et le mal qu’il endurait voyant le désir de sa chère épouse. Il eût voulu l’avoir toujours près de lui, et si volontiers il n’endura qu’elle vînt avec lui, craignant l’inconstance de la mer et quelque orageuse tempête ; mais, ayant tâché de la dissuader, et elle persistant en sa délibération, ils résolurent de partir ensemble, ayant pris congé du roi Archestrate, lequel, joyeux au possible du bonheur de son gendre, tant s’en faut qu’il empêchât le voyage, que plutôt il les hâta et fit dresser un fort magnifique équipage pour ses enfants, et donna à sa fille pour compagne une sage-femme fort experte pour recevoir son fruit quand elle enfanterait, et une dame d’honneur, nommée Lycoris, qui avait été gouvernante de la princesse ; et le tout mis en ordre, et les adieux dits d’une part et d’autre, Apollonie et sa suite montent sur mer, et met la voile au vent qui leur fut quelque temps doux et favorable. Enfin, étant assaillis de tempête, et les vents contraires transportant les vaisseaux d’une part et d’autre, plusieurs périrent, et les autres furent sauvés, et surgirent et à Tyr et à Cyrène ; là où le capitaine où était Apollonie et son épouse, avec tout son avoir et riches joyaux, tint ferme, et étant portée par les vagues, voici que la princesse sentit les douleurs de l’enfantement plus pour l’effort de l’orage que par le cours de nature, n’ayant encore que sept mois de grossesse : si bien que, secourue et de la sage-femme et de la gouvernante, elle accoucha d’une belle fille du tout semblable et de face, et depuis de vertu, gentillesse, savoir et bonne grâce, à sa mère ; mais elle n’eut loisir de baiser ni caresser son enfant, d’autant que son sang étant figé et refroidi, et les conduits étouffés de la frayeur de l’orage, elle demeura sans aucun sentiment, et si froide et roide que si elle eût rendu l’es-