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LA TRAGÉDIE DE LOCRINE.

la joie unique de Locrine, — que je rassasie mon ressentiment avec le sang tiède — jaillissant à flots du cœur de cette bâtarde. — L’ombre de mon père ne cesse de me hanter — en criant : Venge ma mort prématurée ! — La prescription de mon frère et mon propre divorce — ont banni tout remords de mon cœur de bronze, — toute merci de mes seins durs comme le diamant.

thrasimachus.

— Aimable Guendeline, ton époux, — qui guidait nos pas sous un ciel sans étoiles, — ne jouit plus de la lumière du jour ; le voici frappé à mort — par l’arrêt néfaste de la destinée courroucée ; — près de lui est couchée son aimable maîtresse, — la belle Estrilde percée par une épée fatale ; — il semble que tous deux, en se suicidant, — se sont enlacés de leurs bras affaiblis — dans un élan de tendresse, comme si les malheureux — se faisaient un bonheur — de traverser ensemble le sombre Styx dans la barque de Caron.

guendeline.

— L’altière, Estrilde m’a-t-elle donc prévenue, — a-t-elle donc échappé à la fureur de Guendeline, — en tranchant violemment le fil de ses jours ? — Plût à Dieu qu’elle eût toutes les existences de l’Hydre monstrueuse, — en sorte qu’à chaque heure elle pût mourir d’une mort — plus cruelle que le supplice du vieil Ixion, — et qu’à chaque heure elle pût revivre pour expirer de nouveau ; — pareille à Prométhée qui, attaché à l’inhospitalier Caucase, — alimente sa propre misère, — en mourant chaque jour faute d’aliments, — et en ressuscitant chaque nuit pour mourir ! — Mais arrêtez. Je crois entendre une voix défaillante — qui déplore douloureusement leur fatal trépas.

sabren.

— Ô vous, nymphes des montagnes qui régnez dans ces déserts, — suspendez la chasse hâtive que vous donnez