Page:Shakespeare, apocryphes - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1867, tome 3.djvu/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
LES APOCRYPHES.

dix-septième siècle même, l’illustre Milton l’a développée avec une parfaite confiance dans son Histoire d’Angleterre. On eût fort étonné les contemporains de Shakespeare si l’on eût contesté l’authenticité de ce récit, officiellement enregistré dans le fameux Livre blanc du Guildhall. César, en ses Commentaires, ne parle-t-il pas de la cité des Trinobantes ? Qu’était-ce que cette cité, sinon la Troynovant de Geoffroy de Montmouth ? C’était donc très-sérieusement que Londres se considérait comme une seconde Ilion. La reine Élisabeth croyait superbement succéder à un descendant du héros Énée, petit-fils de Jupiter par sa mère Vénus ; et, d’après la superstition générale, le reflet des rayons de l’olympe dorait le trône de Westminster.

Les Anglais d’alors s’imaginaient de bonne foi avoir du sang phrygien dans les veines, et cette croyance n’est peut-être pas étrangère à la singulière partialité que l’auteur de Troylus et Cressida montre pour Hector vaincu par Achille. La légende de Geoffroy de Montmouth était donc pour les Anglais de la Renaissance une véritable tradition nationale. Elle inspirait les ménestrels, les chansonniers et les poètes, comme les historiens. Elle dominait les imaginations comme les consciences. C’était par elle qu’était inauguré le théâtre naissant. Dès 1560, elle indiquait à lord Buckhurst le plan de la première tragédie, Ferrex et Porrex, en attendant qu’elle suggérât à Shakespeare l’idée de Cymbeline et l’idée du Roi Lear. À la fin du seizième siècle, c’était elle encore qui fournissait la donnée de l’ouvrage étrange publié par le libraire Thomas Creede, sous ce titre : La lamentable tragédie de Locrine, le fils aîné du roi Brutus, racontant les guerres des Bretons et des Huns, avec la déconfiture de ceux-ci ; la victoire des Bretons avec leurs mésaventures, et la mort d’Albanact. — Non moins agréable que profitable. — Nouvellement éditée, révisée et corrigée par W. S. — Londres, — 1595.