Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 4.djvu/302

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
298
BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN.
— par tous ; en effet, il arrive toujours — que nous n’estimons pas un bien à sa juste valeur, — tant que nous en jouissons ; mais, dès qu’il nous manque, dès qu’il est perdu, — ah ! alors nous en exagérons la valeur ; alors nous lui découvrons — le mérite qu’il ne voulait pas nous montrer, — quand il était à nous. C’est ce qui arrivera à Claudio : — lorsqu’il saura que ses paroles l’ont tuée, — l’idée d’Héro vivante se glissera doucement — dans le laboratoire de son imagination, — tous les organes d’une existence si gracieuse — apparaîtront aux yeux de son âme, — plus splendides de forme, plus délicatement touchants, plus vivants même — que lorsqu’elle vivait en réalité… Alors il se désolera, — si jamais l’amour a eu prise sur son foie, — et il regrettera de l’avoir accusée, — oui, l’accusation lui parût-elle juste ! — Faites ce que je dis, et ne doutez pas que l’avenir — n’arrange mieux le dénoûment — que je ne puis le faire par mes conjectures. — Mais, quand même ce but ne serait pas atteint, — du moins la mort supposée de votre fille — éteindra le scandale de son infamie : — et, cet espoir même fût-il déçu, vous pourriez toujours — (ce serait le meilleur remède à sa réputation blessée) — la cacher dans une existence recluse et religieuse, — à l’abri de tout regard, de toute langue, de tout souvenir et de tout affront !
BÉNÉDICT.

— Signor Léonato, laissez-vous convaincre par ce moine. — Quelque intime, vous le savez, que soit l’amitié qui me lie au prince et à Claudio, — je jure sur l’honneur d’agir ici avec vous — aussi discrètement, aussi loyalement que votre âme — avec votre corps.

LÉONATO.

Au milieu de la douleur où je flotte, — le moindre fil peut me conduire.