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LES AMANTS TRAGIQUES.

cette jeune fille ; qu’un désir, lui parler. Il s’approche d’elle, il lui prend la main, il lui donne un baiser et, dans ce baiser, son âme. Mais cette inconnue qu’il adore, sous quel nom doit-il l’invoquer ? Roméo s’informe : plus de doute, elle s’appelle Juliette, et c’est une Capulet ! « Ô trop chère créance, s’écrie-t-il en se retirant, ma vie est due à mon ennemie. » De son côté Juliette demande avec anxiété les noms de ces cavaliers qui s’en vont : — Nourrice, quel est ce gentilhomme là-bas ? — C’est le fils et l’héritier du vieux Tibério. — Quel est celui qui sort à présent ? — Ma foi, je crois que c’est le jeune Pétruchio. — Quel est cet autre qui suit et qui n’a pas voulu danser ? — Je ne sais pas. — Va demander son nom ; s’il est marié, mon cercueil pourrait bien être mon lit nuptial… — Son nom est Roméo, c’est un Montagne, le fils unique de votre plus grand ennemi. — Mon unique affection émane de mon unique aversion ! Il m’est né un prodigieux amour, puisqu’il faut que j’aime mon ennemi exécré ! » Ainsi la sympathie humaine est imprescriptible : la nature finit toujours par ressaisir ses droits méconnus. Qu’importe que Roméo ait appris dès l’enfance à détester les Capulets ! Qu’importe que Juliette ait été élevée dans l’horreur des Montagues ! L’éducation, si forte qu’elle soit, est moins forte que la passion. L’inimitié des deux familles se résout en tendresse, la haine acharnée des parents suscite chez les enfants un amour acharné qui lui donne le démenti et la brave.

Après la scène du bal, la scène du balcon. Dès que Roméo et Juliette se sont retrouvés, l’union est devenue pour eux la nécessité suprême. Pour atteindre ce but radieux, les deux amants sont prêts à tout, — oui, même à renier leurs pères et à abjurer leurs noms. « Tu n’es pas un Montague, lui dit-elle, tu es toi-même. Qu’est-ce