Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 2.djvu/336

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d’extraordinaire alors ; elle pouvait invoquer l’imposant témoignage d’un grand savant de l’époque. Dans le récit qu’il publia, en 1595, de son voyage en Guyane, Walter Raleigh écrivait très-sérieusement ce qui suit.

« L’Arvi (fleuve que la géographie indiquait alors comme se jetant dans l’Orénoque) a pour affluents deux rivières, l’Atoïca et le Caova ; au bord de l’affluent appelé Caova, est une nation d’hommes dont la tête n’apparaît pas au-dessus de leurs épaules. Bien qu’on puisse croire que c’est une pure fable, je suis, pour ma part, convaincu que c’est vrai. Tous les naturels des provinces d’Arromaia et de Canuri l’affirment positivement. — Ces hommes-là sont appelés Ewaipanoma. On rapporte qu’ils ont les yeux dans les épaules, la bouche au milieu de la poitrine et une longue chevelure qui leur pousse sur le dos. »

(25) Il faut connaître les usages de l’époque pour bien comprendre cette phrase de Gonzalo. Avant d’envoyer une expédition au delà des mers, les négociants faisaient assurer, non-seulement leur navire et leur cargaison, mais les hommes qui devaient monter à bord. Plus le voyage était périlleux, plus la prime d’assurance était élevée. Un voyageur assuré à cinq pour un partait pour quelque contrée inconnue, d’où il avait peu de chance de revenir. Pour un écu payé par lui avant son départ, la compagnie d’assurance lui promettait cinq écus au retour.

(26) Tout cet épisode de La Tempête semblerait être inspiré par le drame étrange intitulé : Le Docteur Faust. Comme le Caliban de Shakespeare, le Benvolio de Marlowe veut se venger de l’enchanteur qui l’a humilié. Benvolio a résolu de tuer Faust, comme Caliban de tuer Prospero, et, pour l’exécution du complot, il s’associe Frédéric et Martino, de même que Caliban s’associe Trinculo et Stephano. Benvolio est sur le point de réussir, comme Caliban. Mais, au moment décisif, Faust fait surgir une légion de démons, ainsi que Prospero évoque une meute d’esprits, qui donnent la chasse aux conspirateurs. L’analogie est frappante ; le lecteur peut en juger par l’extrait suivant :

FRÉDÉRIC.

Approchons ! approchons ! L’enchanteur avance, en se promenant tout seul dans sa robe magique. Soyons prêts alors, et abattons le manant !

BENVOLIO

À moi cet honneur ! Maintenant, épée, frappe au but ! Je vais avoir sa tête !