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SCÈNE XIII.

JULIETTE.

— Ô cœur reptile caché sous la beauté en fleur ! — Jamais dragon occupa-t-il une caverne si splendide ! — Gracieux tyran ! démon angélique ! — corbeau aux plumes de colombe ! agneau ravisseur de loups ! — méprisable substance d’une forme divine ! — Juste l’opposé de ce que tu sembles être justement, — saint damné, noble misérable (101) ! — Ô nature, à quoi réservais-tu l’enfer, — quand tu reléguas l’esprit d’un démon — dans le paradis mortel d’un corps si exquis ? — Jamais livre contenant aussi vile rapsodie — fut-il si bien relié ? Oh ! que la perfidie habite — un si magnifique palais !

LA NOURRICE.

Il n’y a plus à se fier aux hommes ; — chez eux ni bonne foi, ni honneur, ce sont tous des parjures, — tous des traîtres, tous des vauriens, tous des hypocrites… — Ah ! où est mon valet ? Vite, qu’on me donne de l’eau-de-vie ! — Ces chagrins, ces malheurs, ces peines me font vieillir. — Honte à Roméo !

JULIETTE.

Que ta langue se couvre d’ampoules — après un pareil souhait ! Il n’est pas né pour la honte, lui. — La honte serait honteuse de siéger sur son front ; — car c’est un trône où l’honneur devrait être couronné — monarque absolu de l’univers. — Oh ! quel monstre j’étais de l’outrager ainsi !

LA NOURRICE.

— Pouvez-vous dire du bien de celui qui a tué votre cousin ?

JULIETTE.

— Dois-je dire du mal de celui qui est mon mari ? — Ah ! mon pauvre seigneur, quelle est la langue qui caressera ta renommée, — quand moi, ton épousée depuis trois heures, je la déchire ? — Mais pourquoi, méchant,