Page:Sincère - Le Sorcier de Septêmes (paru dans Le Roman, journal des feuilletons Marseillais), 1873.djvu/12

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Ambroise, du reste, formait un contraste complet avec sa femme. D’un seul coup d’œil on le connaissait tout entier.

Il avait environ cinquante ans et marquait bien son âge.

Il était grand, coloré, un peu lourd, et tout dénotait que l’intelligence n’avait pas acquis chez lui le même développement que l’embonpoint.

Pourtant, de même que tous les gens de la campagne, il ne manquait ni de perspicacité, ni même de cette finesse qui paraît l’apanage naturel de tout ce qui vit dans la dépendance des hommes ou des choses. Mais chez lui cette finesse n’était jamais sortie du droit chemin.

Tout en devenant très habile dans le trafic des denrées et des bestiaux, et tout en y ramassant une assez belle aisance, il n’avait point, par exception, cessé de demeurer honnête.

Cela tenait apparemment à la droiture innée de son caractère et à l’excellence de son cœur. On ne saurait effectivement se décider à tromper son semblable quand on est naturellement enclin à l’aimer et qu’on serait heureux de pouvoir lui rendre service.

Chose à constater et qui cependant s’explique d’elle-même : autant Ambroise était bon, autant il était susceptible et colère.

Mais s’il était prompt à s’emporter, il revenait encore plus vite, et cela d’une façon si ouverte, avec tant de franchise et de rondeur, qu’en le voyant lui-même incapable de la moindre rancune, il était impossible d’en conserver aucune contre lui.

Ce soir-là, du reste, Catherine en fit une nouvelle expérience. En la voyant s’occuper de son souper, Ambroise oublia aussitôt la petite querelle qu’il venait d’avoir avec elle, et se mettant à sourire :

— Oh ! oh ! — s’écria-t-il, — pour le coup je dois faire amende honorable… qu’est-ce qu’il s’est donc passé que tu aies changé d’humeur en si peu de temps ?… J’arrive mouillé comme une gouttière, affamé comme un carême ; tu me reçois comme un chien dans un jeu de quilles… et voilà que maintenant… mais je n’en reviens pas !… Tiens ! il faut que je t’embrasse.

Et joignant les faits à la parole, Ambroise prit sa femme à bras le corps et l’embrassa bruyamment sur les deux joues, pendant que Catherine, qui s’en défendait faiblement, lui disait avec un reste de bouderie peu fait assurément pour le décourager :

Jacques SINCÈRE.
(La suite au prochain numéro.)