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QUATRIÈME PARTIE.

a été généreux envers moi, mais il a surtout affecté de parler de cette circonstance comme peu décisive, et d’affirmer qu’il était certain d’en adoucir tous les effets. Je n’ai point combattu cette erreur ; je sens approcher la résolution irrévocable, la nécessité toute-puissante, je ne dispute plus sur rien : ah ! je parlais quand j’avais un besoin secret d’être convaincue, quand je souhaitais confusément qu’on s’opposât au sacrifice que je croyais vouloir ! maintenant je me tairai ; tout repose sur moi ; devoir, malheur, amour, je dois tout contenir dans mon âme solitaire.

Qu’il sera terrible le moment de se séparer ! il s’offre à moi déjà comme un nuage noir à l’horizon, prêt à s’avancer sur ma tête : ah ! que ne puis-je mourir pendant qu’il est loin encore ! Bonne Élise, heureuse Élise, adieu.

LETTRE XXVII. — DELPHINE À MADAME DE LEBENSEI.
Ce 4 novembre.

Mon sort est décidé ! il l’est depuis quatre jours ; je n’ai pas eu la force de vous l’écrire. Si votre pressante lettre ne m’était pas arrivée ce matin, je ne sais si j’aurais pu prendre sur moi de raconter tant de douleurs. Je le vois encore, mais bientôt je ne le verrai plus ; il ne le sait pas, il doit l’ignorer ; il me regarde avec une expression déchirante : s’il a des craintes, il ne veut pas les exprimer, il semble qu’il croie m’enchaîner davantage en ne paraissant pas douter. Oh ! qu’il est touchant ! qu’il est aimable ! et dans un funeste moment j’ai promis de le quitter ! mes forces suffiront-elles à ce sacrifice ?

Mardi dernier, Léonce m’avait dit qu’il était obligé de s’absenter le lendemain de Paris pour une affaire indispensable ; je ne sais pourquoi l’idée ne me vint pas que madame de Mondoville choisirait ce jour pour me voir ; mais quand on l’annonça je fut saisie d’une surprise égale à ma douleur. J’étais avec ma belle-sœur : Mathilde, en entrant, m’annonça solennellement qu’elle désirait être seule avec moi, et qu’elle me priait de faire fermer ma porte.

Quand nous fûmes seules, elle me dit avec un ton triste, mais ferme, qu’il ne lui était plus permis de douter de l’amour qui existait entre Léonce et moi ; qu’elle s’était retracé plusieurs circonstances qui ne l’avaient pas frappée lorsqu’elle expliquait tout par l’amitié, mais qui ne prouvaient que trop clairement