Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/104

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répétant à demi-haut : Ah ! les chevaux à onze heures et demie.

Octave parla, et s’il n’atteignit pas à l’aisance et à l’enjouement qui font les succès parfaits, sa beauté remarquable et le sérieux profond de ses manières donnèrent aux yeux de bien des femmes un prix singulier aux mots qu’il leur adressait. Ses idées étaient vives, claires, et de celles qui grandissent à mesure qu’on les regarde. Il est vrai que la simplicité pleine de noblesse avec laquelle il s’énonçait lui faisait perdre l’effet de quelques traits piquants ; on ne s’en étonnait qu’une seconde après. La hauteur de son caractère ne lui permit jamais de dire d’un ton marqué ce qui lui semblait joli. C’était un de ces esprits que leur fierté met dans la position d’une jeune femme qui arrive sans rouge dans un salon où l’usage du rouge est général ; pendant quelques instants sa pâleur la fait paraître triste. Si Octave eut des succès, c’est que le mouvement d’esprit et l’excitation qui lui manquaient souvent étaient suppléés ce soir-là par le sentiment de l’ironie la plus amère.

Cette apparence de méchanceté engagea les femmes d’un certain âge à lui pardonner la simplicité de ses manières, et les sots auxquels il fit peur se hâtèrent de l’applaudir. Octave, exprimant finement tout le mépris dont il était dévoré, trouvait dans la société le seul bonheur qu’elle pût lui donner, lorsque la duchesse d’Ancre s’approcha du divan sur lequel il était assis, et dit, non à lui, mais pour lui, et à voix très basse, à madame de la Ronze son amie intime : Voyez cette petite sotte d’Armance, ne s’avise-t-elle pas d’être jalouse de la fortune qui tombe des nues à M. de Malivert ? Dieu ! que l’envie sied mal à une femme ! L’amie devina la duchesse et saisit le regard fixe d’Octave qui, tout en ayant l’air de ne voir que la figure vénérable de M. l’évêque de *** qui lui parlait en cet instant, avait tout entendu. En moins de trois minutes, le silence de mademoiselle Zohiloff se trouva expli-