Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/125

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sévère ; on n’y voyait ni coquetterie, ni assurance ; mais on ne peut nier qu’il ne fût singulier, et à ce titre, déplacé chez une jeune personne. Les complaisantes de madame de Bonnivet, lorsqu’elles étaient sûres d’en être regardées, contrefaisaient quelquefois ce regard, en se parlant d’Armance entre elles ; mais ces âmes vulgaires en ôtaient ce qu’elles n’avaient garde d’y voir. C’est ainsi, leur dit un jour madame de Malivert impatientée de leur méchanceté, que deux anges exilés parmi les hommes, et obligés de se cacher sous des formes mortelles, se regarderaient entre eux pour se reconnaître.

L’on conviendra qu’auprès d’un caractère aussi ferme dans ses croyances et aussi franc, ce n’était pas chose facile que de se justifier d’un tort grave par des demi-mots adroits. Il eût fallu à Octave, pour y parvenir, une présence d’esprit et surtout un degré d’assurance qui n’étaient pas de son âge.

Sans le vouloir, Armance lui laissait-elle voir, par un mot, qu’elle ne le regardait plus comme un ami intime, son cœur se serrait, il en perdait la parole pour un quart d’heure. Il était bien loin de trouver dans la forme de la phrase d’Armance un prétexte pour y répondre et reconquérir ses droits. Quelquefois il essayait de parler, mais il était trop tard, et sa réplique manquait d’à-propos ; toutefois, elle avait un certain air pénétré. En cherchant en vain les moyens de se justifier de l’accusation qu’Armance lui adressait en secret, Octave laissait voir, sans s’en douter, combien profondément il en était touché ; c’était peut-être la manière la plus adroite de mériter son pardon.

Depuis que le parti pris à l’égard de la loi d’indemnité n’était plus un secret, même pour le gros de la société, Octave, à son grand étonnement, se trouvait une sorte de personnage. Il se voyait l’objet de l’attention des gens graves.