Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/173

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Cette découverte lui donna beaucoup à penser ; et ce qu’il observa pendant le reste de la promenade le confirma dans ses soupçons. Armance n’était plus la même pour lui. Il était clair qu’elle allait se marier ; il allait perdre le seul ami qu’il eût au monde. En aidant Armance à descendre de cheval, il trouva l’occasion de lui dire, sans être entendu de madame de Malivert : Je crains bien que ma jolie cousine ne change bientôt de nom ; cet événement va m’enlever la seule personne au monde qui voulût bien m’accorder quelque amitié. — Jamais, lui dit Armance, je ne cesserai d’avoir pour vous l’amitié la plus dévouée et la plus exclusive. Mais pendant qu’elle prononçait rapidement ces mots, il y avait tant de bonheur dans ses yeux, qu’Octave, prévenu, y vit la certitude de toutes ses craintes.

La bonté, l’air d’intimité, en quelque sorte, qu’Armance eut avec lui pendant la promenade du lendemain, achevèrent de lui ôter toute tranquillité : Je vois, se disait-il, un changement décidé dans la manière d’être de madame de Zohiloff ; elle était fort agitée il y a quelques jours, elle est maintenant fort heureuse. J’ignore la cause de ce changement ; donc il ne peut être que contre moi.

Qui eut jamais la sottise de choisir pour amie intime une jeune fille de dix-huit ans ? Elle se marie, et tout est fini. C’est mon exécrable orgueil qui fait que je mourrais plutôt mille fois que d’oser dire à un homme ce que je confie à mademoiselle de Zohiloff.

Le travail pourrait être une ressource ; mais n’ai-je pas abandonné toute occupation raisonnable ? À vrai dire, depuis six mois, tâcher de me rendre aimable aux yeux d’un monde égoïste et plat, n’est-ce pas mon seul travail ? Pour se livrer au moins à ce genre de gêne utile, tous les jours, après la promenade de sa mère, Octave quittait Andilly et venait faire des visites à Paris. Il cherchait des habitudes nouvelles pour