Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/179

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jolie cousine, comme je me moquerais d’elle ! Que me fait l’esprit d’un homme ? ce sont ses manières qui peuvent me donner de la tristesse. L’homme le plus sot parmi nous, M. de *** par exemple, peut être fort ridicule, mais il n’est jamais offensant. L’autre jour je racontais chez les d’Aumale mon petit voyage à Liancourt ; je parlais des dernières machines que le bon duc a fait venir de Manchester. Un homme qui était là dit tout à coup : Ça n’est pas ça, ça n’est pas vrai. Je m’assurai qu’il ne voulait pas me donner un démenti ; mais cette grossièreté m’a rendu muet pour une heure.

— Et cet homme était banquier ? — Il n’était pas des nôtres. Ce qu’il y a de plaisant, c’est que j’ai écrit au contremaître de la carderie de Liancourt, et il se trouve que mon homme au démenti n’a pas même raison. — Je ne trouve point que M. Montange, le jeune banquier qui vient chez madame de Claix, ait des manières rudes. — Il les a mielleuses ; c’est une métamorphose des manières rudes, quand elles ont peur.

— Leurs femmes me semblent bien jolies, reprit Armance. Je voudrais savoir si leur conversation est gâtée par cette nuance de haine ou de dignité qui craint qu’on la blesse, qui se montre quelquefois parmi nous. Ah ! que je voudrais qu’un bon juge comme mon cousin pût me raconter ce qui se passe dans ces salons-là ! Quand je vois les dames banquières dans leurs loges, au Théâtre-Italien, je meurs d’envie d’entendre ce qu’elles se disent et de me mêler à leur conversation. Si j’en aperçois une jolie, et il y en a de charmantes, je meurs d’envie de lui sauter au cou. Tout cela vous paraîtra de l’enfantillage ; mais à vous, monsieur le philosophe, si fort sur la logique, je vous dirai : comment connaître les hommes si vous ne voyez qu’une classe ? Et la classe la moins énergique parce qu’elle est la plus éloignée des besoins réels !

— Et la classe qui a le plus d’affectation, parce qu’elle se