Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/190

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tées par le vent du soir, semblait prêter un nouveau charme à leur silence.

Octave regardait les grands yeux d’Armance qui se fixaient sur les siens. Tout à coup ils comprirent un certain bruit qui depuis quelque temps frappait leur oreille sans attirer leur attention. Madame d’Aumale, étonnée de l’absence d’Octave, et trouvant qu’il lui manquait, l’appelait de toutes ses forces : On vous appelle, dit Armance, et le ton de voix brisé avec lequel elle dit ces mots si simples, eût appris à tout autre qu’Octave l’amour qu’on avait pour lui. Mais il était si étonné de ce qui se passait dans son cœur, si troublé par le beau bras d’Armance à peine voilé d’une gaze légère qu’il tenait contre sa poitrine, qu’il n’avait d’attention pour rien. Il était hors de lui, il goûtait les plaisirs de l’amour le plus heureux, et se l’avouait presque. Il regardait le chapeau d’Armance, qui était charmant, il regardait ses yeux. Jamais Octave ne s’était trouvé dans une position aussi fatale à ses serments contre l’amour. Il avait cru plaisanter comme de coutume avec Armance, et la plaisanterie avait pris tout à coup un tour grave et imprévu. Il se sentait entraîné, il ne raisonnait plus, il était au comble du bonheur. Ce fut un de ces instants rapides que le hasard accorde quelquefois, comme compensation de tant de maux, aux âmes faites pour sentir avec énergie. La vie se presse dans les cœurs, l’amour fait oublier tout ce qui n’est pas divin comme lui, et l’on vit plus en quelques instants que pendant de longues périodes.

On entendait encore de temps en temps la voix de madame d’Aumale qui appelait Octave ; et le son de cette voix achevait d’ôter toute prudence à la pauvre Armance. Octave sentait qu’il devait quitter le beau bras qu’il pressait un peu contre sa poitrine ; il devait se séparer d’Armance ; il s’en fallut de bien peu qu’en la quittant il n’osât lui prendre la main et la presser contre ses lèvres. S’il se fût permis cette