Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/199

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vait arriver de Paris, et dire qu’on ne l’avait pas vu dans la rue Saint-Dominique, ce qui aurait pu faire découvrir sa folie et donner de l’inquiétude à sa mère.

Octave se trouvait assez loin du château : ah ! se dit-il en traversant le bois pour y revenir, hier encore il y avait ici des enfants qui chassaient ; si quelque enfant maladroit, en tirant un oiseau derrière une haie, pouvait me tuer, je n’aurais aucun reproche à me faire. Dieu ! quelles délices de recevoir un coup de fusil dans cette tête brûlante ! Comme je le remercierais avant que de mourir si j’en avais le temps !

On voit qu’il entrait un peu de folie dans la manière d’être d’Octave, ce matin-là. L’espérance romanesque d’être tué par un enfant lui fit ralentir le pas, et son âme, par l’effet d’une petite faiblesse à demi aperçue, se refusa à considérer la légitimité de cette action. Enfin il rentra au château par la petite porte du jardin, et la première personne qu’il aperçut, ce fut Armance. Il demeura immobile, son sang se glaça, il ne croyait pas la rencontrer sitôt. Dès qu’elle l’aperçut de loin, Armance accourut en souriant ; elle avait la grâce et la légèreté d’un oiseau ; jamais il ne l’avait trouvée si jolie ; elle songeait à ce qu’il lui avait dit la veille sur sa liaison avec madame d’Aumale.

Je la vois donc pour la dernière fois, se dit Octave ! et il la regardait avidement. Le grand chapeau de paille d’Armance, sa taille noble, les grosses boucles de cheveux qui s’échappaient sur ses joues, et faisaient un contraste charmant avec ses regards si pénétrants et cependant si doux, il cherchait à tout graver dans son âme. Mais ces regards si riants à mesure qu’Armance approchait, perdaient bien vite leur air de bonheur. Elle trouvait quelque chose de sinistre dans la manière d’être d’Octave. Elle remarqua que ses vêtements étaient trempés d’eau.

Elle lui dit d’une voix que l’émotion faisait trembler :