Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/281

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jours. D’ici là sois indulgente pour lui, il t’aime, tu n’en peux douter. Tu sais quelle idée il a de ses devoirs envers ses parents, et cependant tu as vu sa fureur quand il te crut en butte aux mauvais propos de mon frère. Sois douce et bonne, ma chère fille, avec cet être que rend malheureux quelque préjugé bizarre contre le mariage. Armance, à laquelle ces paroles jetées au hasard présentaient un sens si vrai, redoubla d’attentions et de dévouement tendre pour Octave.

Le lendemain, de grand matin, Octave vint à Paris, et dépensa une somme fort considérable, à peu près les deux tiers de tout ce dont il pouvait disposer, pour acheter des bijoux de grand prix qu’il fit placer dans la corbeille de mariage.

Il passa chez le notaire de son père et fit ajouter au contrat de mariage des clauses extrêmement avantageuses à la future épouse et qui, en cas de veuvage, lui assuraient la plus brillante indépendance.

Ce fut par des soins de ce genre qu’Octave remplit les dix jours qui s’écoulèrent entre la découverte de la prétendue lettre d’Armance et son mariage. Ces jours furent pour Octave plus tranquilles qu’il n’eût osé l’espérer. Ce qui pour les âmes tendres rend le malheur si cruel, c’est une petite lueur d’espérance qui quelquefois subsiste encore.

Octave n’en avait aucune. Son parti était arrêté, et pour les âmes fermes, quelque dur que soit le parti pris, il dispense de réfléchir sur son sort et ne demande plus que le courage d’exécuter exactement ; et c’est peu de chose.

Ce qui frappait le plus Octave, quand les préparatifs nécessaires et les soins de tout genre le laissaient à lui-même, c’était un long étonnement : Quoi ! mademoiselle de Zohiloff n’était plus rien pour lui ! Il s’était tellement accoutumé à croire fermement à l’éternité de son amour et de leur liaison intime, qu’à chaque instant il oubliait que tout était changé, il ne pouvait se figurer la vie sans Armance. Chaque