Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/31

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Voici une page qui pourra faire juger de l’état de l’âme de Beyle pendant son premier séjour à Paris.

« Je me rappelle le profond ennui des dimanches ; je me promenais au hasard. C’était donc là ce Paris que j’avais tant désiré ! L’absence de montagnes et de bois me serrait le cœur. Les bois étaient intimement liés à mes rêveries d’amant tendre et dévoué, comme dans l’Arioste. Tous les hommes me semblaient prosaïques et plats dans les idées qu’ils avaient de l’amour et de la littérature. Je me gardais de faire confidence de mes objections contre Paris. Ainsi, je ne m’aperçus pas que le centre de Paris est à une heure de distance d’une belle forêt, séjour des cerfs sous les rois. Quel n’eût pas été mon ravissement, en 1800, de voir la forêt de Fontainebleau où il y a quelques petits rochers en miniature, les bois de Versailles, Saint-Cloud, etc. Probablement j’eusse trouvé que ces bois ressemblaient trop à un jardin.

« Quand je m’ennuyais dans un salon (de décembre 1799 à mai 1800), j’y manquais la semaine d’après, et n’y reparaissais qu’au bout de quinze jours. Avec la franchise de mon regard et l’extrême malheur de prostration des forces que l’ennui me donne, on voit combien je devais avancer mes affaires par ces absences. D’ailleurs, je disais toujours d’un sot : c’est un sot. Cette manie m’a valu un monde d’ennemis. Depuis que j’ai eu de l’esprit (en 1826) les épigrammes sont arrivées en foule, et des mots qu’on ne peut plus oublier, me disait un jour cette bonne madame Mérimée. »

En 1800, les sociétés littéraires pullulaient à Paris ; M. Daru était à la fois le président de quatre de ces sociétés, qui alors, on peut le dire en toute assurance, n’étaient pas aussi vides d’intérêt que le sont généralement celles d’aujourd’hui. Un soir, M. Daru conduisit Beyle à l’une des sociétés qu’il présidait. La poésie que l’on y débita lui parut plate et bourgeoise ; en un mot, lui fit horreur. Quelle différence avec l’Arioste et Voltaire ! Mais il admira fort dans cette réunion la beauté si séduisante de madame Constance Pipelet[1], qui lut une pièce de vers. Plus tard, lorsqu’elle fut devenue prin-

  1. Morte à Paris, le 13 avril 1845, à l’âge de soixante-dix-huit ans.