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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

tent leurs fusils toujours chargés à balle, pour leur sûreté, et ne connaissent point l’usage du tire-bourre.

Lorsqu’une jeune fille se marie, on la met dans un panier sur une mule, on conduit la mule au milieu d’un champ, et tous les cavaliers de la tribu viennent au grand galop décharger leurs fusils entre les jambes de la mule.

M. B. admire beaucoup Abd-el-Kader : ce jeune général de vingt-neuf ans en sait plus que nos généraux de cinquante, et peut devenir un grand homme. M. B. fait une grande différence entre l’Arabe auquel on peut faire comprendre son véritable intérêt, et le Turc, comme Achmet, de Constantine, que rien ne peut détourner de l’idée qu’il a une fois conçue.

Le Turc est peut-être l’être le plus vertueux que l’on rencontre au dix-neuvième siècle, et toute cette vertu n’est que de l’obéissance au Coran, fort supérieur à un autre livre. Au reste, cette guerre d’Afrique pourra donner quelques idées nouvelles à la fatuité française, qui croit tout savoir.

J’avais bien lu dans Volney que les Français n’ont pas le génie de la colonisation ; M. B. ne dit pas un mot qui ne confirme cette triste vérité : il loue beaucoup quatre ou cinq officiers employés en Afrique, et qui, si on les élevait en grade, promettraient des généraux comme ceux de 93. Ils ont daigné apprendre l’arabe. Il y a souvent des suicides ; et ce sont, en général, des sous-officiers qui se font sauter la cervelle. La vie est estimée partout ce qu’elle vaut, c’est-à-dire peu de chose.

Des négociants établis à Alger offrent au gouvernement français sept cent mille francs par an de la saline d’Arsew ; on n’emploierait que dix heures, par mer, pour transporter le sel à Alger. Mais il faudrait avant tout, en ce pays, un gouverneur ayant une volonté de fer. C’est comme sachant vouloir que les Arabes se moquent de nous, qui n’avons que les avantages d’une vieille civilisation.

C’est en devisant ainsi à perte de vue, et sans mission, comme disent les journaux vendus, que nous avons passé à Romans,