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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

passé quarante-huit heures. M. P… m’a mené voir le château de Mirabeau, dont les ruines occupent le sommet d’un monticule aride : nous avons interrogé un vieux paysan.

— Ce château, nous a-t-il répondu, appartient à un monsieur de Paris, M. de Montigny.

— Savez-vous quelque chose des anciens propriétaires ?

— L’un d’eux fut un grand guerrier, bien fameux de son temps.

— Et vous n’avez pas ouï parler d’un autre Mirabeau ?

— Oh ! non, monsieur.

— On ne parle pas d’un autre Mirabeau, qui fut député à Paris il peut y avoir une cinquantaine d’années ?

— Quant à moi, messieurs, jamais je n’en ai ouï parler.

Mon associé de Gréoulx est riche depuis longtemps et même de père en fils, ce qui fait encore une différence. Mon domestique unique m’impatiente et me gêne souvent. M. P…, outre son domestique, a un courrier, au moyen duquel il n’adresse jamais la parole aux gens des hôtels où il prend son logement. Pour trois mois de voyage, ce courrier n’augmente sa dépense que de neuf cents francs, et encore dans cette somme nous comprenons deux cents francs de gains non avoués. M. P… ne fait jamais plus de vingt lieues par jour ; il vient de parcourir cette année, avec sa femme, sept cent vingt lieues qui ont coûté six mille deux cents francs. Il se loue extrêmement de la bonne chère qu’on lui a faite dans les petites villes du Midi, particulièrement dans les environs de Pau.

Ce midi de la France est le paradis des soldats et des domestiques ; pour cinq centimes on a un litre de vin ; c’est pourquoi je voudrais y placer les invalides ; on leur donnerait un litre de vin par jour, et ce bien-être prendrait place tout aussitôt dans les chansons des casernes.

J’ai rencontré hier soir chez M. P… un homme que j’ai beaucoup connu en 1826 ; il m’étonnait alors par son jacobinisme ; il ne voulait pas convenir, par exemple, que Louis XVIII fût un