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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

rend enfin le dernier soupir au milieu des cris et des sanglots de sa famille et des domestiques. Sa femme se jette sur son corps inanimé ; on entend de la rue ses cris épouvantables, ce qui lui fait honneur ; et elle donne aux enfants un souvenir éternel d’horreur et de misère : c’est une scène affreuse. »

Un homme tombe gravement malade à Paris ; il ferme sa porte ; un petit nombre d’amis pénètrent jusqu’à lui. On se garde bien de parler tristement de la maladie ; après les premiers mots sur sa santé, on lui raconte ce qui se passe dans le monde. Au dernier moment, le malade prie sa garde de le laisser seul un instant ; il a besoin de reposer. Les choses tristes se passent comme elles se passeraient toujours, sans nos sottes institutions, dans le silence et la solitude.

Voyez l’animal malade, il se cache, et, pour mourir, va chercher dans le bois le fourré le plus épais. Fourier est mort en se cachant de sa portière.

Depuis que l’idée d’un enfer éternel s’en va, la mort redevient une chose simple, ce qu’elle était avant le règne de Constantin. Cette idée aura valu des milliards à qui de droit, des chefs-d’œuvre aux beaux-arts, de la profondeur à l’esprit humain.


— Granville, le…

Rien de plus obligeant que les habitants de Granville. Dans les pays où il y a un cercle de négociants, les cafés ne font pas venir les journaux de Paris, ce serait une dépense trop considérable pour leurs faibles recettes. J’étais donc fort contrarié ce soir à Granville. Comme en venant de Saint-Malo je m’étais rapproché de Paris, j’étais piqué d’une curiosité assez ridicule ; j’aurais volontiers arrêté les passants pour leur dire : « Qu’y a-t-il de nouveau ? » Au café je n’ai trouvé que la Gazette du département, dont j’avais lu les nouvelles à Saint-Malo. Je suis rentré tristement chez moi. J’ai essayé de la lecture, mais lire par force ne m’a jamais réussi. Comme je sortais pour flâner dans les rues, j’ai eu le courage de parler de mon embarras. Le garçon de l’hô-