Page:Stendhal - Racine et Shakespeare, Lévy, 1854.djvu/115

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Vigano a été, parmi les grands artistes que j’ai eu le bonheur d’approcher, le seul qui ait évité cette sottise !

Demandons-nous à la sculpture de rendre le mouvement, ou à l’art des David et des Girodet de représenter une nuit parfaite ? Il serait également absurde d’exiger d’un artiste qu’il sente le mérite d’un autre artiste qui s’immortalise dans le genre immédiatement voisin du sien. S’il trouvait ce genre préférable , il le prendrait.

Après avoir expliqué, tant bien que mal, en mauvais italien, cette idée à Canova, je lui disais : « Voulez-vous vous ravaler, vous grand homme, à qui la forme d’un nuage, considérée à minuit, en rentrant chez vous, dans votre jeunesse, a fait répandre des larmes d’extrême plaisir, voulez-vous vous ravaler à la grossièreté d’âme de ce banquier à qui vingt-cinq ans d’arithmétique (M. Torlonia, duc de Bracciano) et des idées sordides ont valu dix millions ? Dans sa loge, au théâtre d’Argentina, il ne songe qu’au moyen d’attaquer l’imprésario et de le payer dix sequins de moins. Il condamne hautement, comme manquant de dignité, les flonflons de Cimarosa sur le mot félicità, et leur préfère savamment la musique noble et grave des Mayer et des Paer. Mais elle ennuie ! — Qu’importe ? elle est digne.

« Avouez donc bonnement, disai-je à Canova, et comme il convient à un grand homme tel que vous l’êtes, que non omnia posmmus omnes ; que, quelque bons yeux que nous ayons, nous ne pouvons pas voir à la fois les deux côtés d’une orange.