Page:Stendhal - Romans et Nouvelles, II, 1928, éd. Martineau.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
133
FÉDER

le plus souvent, sous prétexte de donner des leçons de dessin à deux petites filles, se trouvait un des plus riches fournisseurs de l’Opéra, et lui fit avoir ses entrées.

Féder commençait à ne plus écouter pour sa conduite les folies de son imagination, et, par le contact avec toutes ces vanités de bas étage, grossières et si cruelles à comprendre, il avait acquis quelque esprit ! Il remercia beaucoup de cette faveur la dame qui la lui avait fait obtenir ; mais déclara que, malgré sa passion folle pour la musique, il ne pourrait en profiter : depuis ses malheurs, souvent il prononçait ce mot de bon goût, c’est-à-dire depuis la mort de la femme qu’il avait épousée par amour, les larmes qu’il ne cessait de répandre avaient affaibli sa vue, et il lui était impossible de voir le spectacle d’un point quelconque de la salle : elle était trop resplendissante de lumières. Cette objection, si respectable par sa cause, valut à Féder, ainsi qu’il s’y attendait bien, l’entrée dans les coulisses, et il obtint le second avantage de persuader de plus en plus aux braves de la deuxième légion que la société intime du jeune peintre n’avait aucun danger pour leurs femmes. Notre jeune Marseillais avait alors devant lui, comme on dit dans les boutiques, quelques billets de cinq cents francs, mais