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FÉDER

s’amusait réellement qu’en jouant la comédie, absolument comme il ferait sur un théâtre, elle parvint à en faire un clerc de notaire beaucoup plus ridicule, beaucoup plus chargé dans son imitation des belles manières, mais beaucoup plus amusant que tous les autres.

— Voici qui est drôle, dit Féder à Rosalinde : après m’être livré toute une soirée à l’exécution burlesque de toutes les folies qui, hier au soir, me semblaient plaisantes, j’ai trouvé aujourd’hui beaucoup plus de facilité à reproduire, sur le boulevard, les gestes sans vigueur et le regard privé d’intérêt de l’homme accablé par les souvenirs de la tombe.

— Je suis ravie de te voir marcher tout seul ; tu arrives là à une chose que j’ai été tentée vingt fois de te dire : c’est le grand principe de mon métier de comédienne. Mais j’aime bien mieux que tu sois arrivé à en avoir la sensation. Eh bien, mon petit Féder, ce n’est pas seulement la comédie mélancolique qu’il faut jouer, pour vous autres gens du Midi qui prétendez vivre à Paris, il faut jouer la comédie toujours ; rien moins que cela, mon bel ami. Votre air de gaieté et d’entrain, la prestesse avec laquelle vous répondez, choquent le Parisien, qui est naturellement un animal lent et dont l’âme est trempée dans le