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FÉDER

Boissaux s’était attribué, aux yeux de sa femme, tout l’honneur de ce grand changement.

— Jamais de la vie les gens qui viennent dîner chez vous ne diront le soir, à leur retour à Paris : « Ce Boissaux possède un Voltaire dont la reliure ferait honneur à la bibliothèque de l’Anglais le plus riche. » Mais ils diront fort bien dans la saison des primeurs : « Les petits pois que nous avons eus aujourd’hui chez Boissaux étaient déjà bien formés et pleins de goût. »

Qui l’eût dit à Féder quelques mois auparavant, lorsque la voix forte de M. Boissaux lui faisait mal aux nerfs ? Dès onze heures du matin, il allait au lever de M. de Cussi, pour obtenir une audience d’un quart d’heure, et discuter avec ce grand artiste le menu d’un dîner que Boissaux devait donner trois jours après. Nous devons faire un aveu bien plus pénible : plusieurs fois Féder se leva à six heures du matin et courut à la halle, après avoir pris dans son cabriolet un cuisinier émérite, qui, sous sa direction, achetait pour les dîners de Viroflay ces plats que l’on peut dire uniques.

Durant plusieurs mois, Féder fit des miracles en ce genre. Boissaux ne se plaignait jamais de la dépense ridicule qu’il faisait pour ces dîners, et cependant leur