Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, Lévy, 1854.djvu/28

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comme si c’était un valet qui fût entré. — Plaisante manière de se féliciter, s’écrierait un de mes amis de Paris, je ne vois là que de la grossièreté. — A la bonne heure, mais c’est pour moi la plus douce récompense des deux ans que j’ai passés autrefois à apprendre non-seulement l’italien de Toscane, mais encore le milanais, le piémontais, le napolitain, le vénitien, etc. On ignore, hors de l’Italie, jusqu’au nom de ces dialectes, que l’on parle uniquement dans les pays dont ils portent le nom. Si l’on n’entend pas les finesses du milanais, les sentiments comme les idées des hommes au milieu desquels ou voyage restent parfaitement invisibles. La fureur de parler et de se mettre en avant, qu’ont les jeunes gens d’une certaine nation, les fait prendre en horreur à Milan. Par hasard, j’aime mieux écouter que parler ; c’est un avantage, et qui compense quelquefois mon mépris peu caché pour les sots. Je dois avouer, de plus, qu’une femme d’esprit m’écrivait à Paris que j’avais l’air rustique. C’est peut-être à cause de ce défaut que la bonhomie italienne a si vite fait ma conquête. Quel naturel ! quelle simplicité ! comme chacun dit bien ce qu’il sent ou ce qu’il pense au moment même ! Comme on voit bien que personne ne songe à imiter un modèle ! Un Anglais me disait à Londres, en me parlant de sa maîtresse avec ravissement : « Il n’y a chez elle rien de vulgaire ! » Il me faudrait huit jours pour faire comprendre cette exclamation à un Milanais ; mais, une fois comprise, il en rirait de bien bon cœur. Je serais obligé de commencer par expliquer au Milanais comme quoi l’Angleterre est un pays où les hommes sont parqués et divisés en castes, comme aux Indes, etc., etc.

La bonhomie itálienne ! Mais c’est à pouffer de rire, diront mes amis du faubourg Poissonnière. Le naturel, la simplicité, la candeur passionnée, si je puis m’exprimer ainsi, étant une nuance qui se mêle à toutes les actions d’un homme, je devrais placer ici une description en vingt pages de diverses actions que j’ai vues ces jours-ci. Cette description, faite avec le soin convenable et l’exactitude scrupuleuse dont je me pique, me prendrait beaucoup de temps, et trois heures viennent de sonner à l’horloge de San Fedele. Une telle description semblerait incroyable aux trois quarts des lecteurs. J’avertis donc seulement