Page:Sue - Les Sept Péchés capitaux, 1852.djvu/124

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vous diront la vérité… car c’est à la mémoire de ma mère que je les-adresse… Monsieur de Maillefort… veuillez prendre connaissance de ce récit en même temps qu’Herminie… vous verrez que si malheureusement j’ai d’abord cru à d’indignes calomnies dirigées contre vous… votre sage et sévère leçon n’a pas été perdue pour moi ; elle seule m’a donné le courage de tenter une épreuve qui, peut-être, vous paraîtra bien étrange, Herminie.

La duchesse prit le livret des mains d’Ernestine.

Ce fut alors un tableau intéressant que de voir Herminie assise… tenant l’album ouvert… pendant que le marquis, courbé sur le dossier du fauteuil où elle était, lisait en même temps qu’elle et comme elle, en silence, le naïf récit de mademoiselle de Beaumesnil.

Celle-ci, pendant tout le temps de cette lecture, regardait attentivement Herminie et le bossu, curieuse, presque inquiète de savoir si les deux personnes en qui elle était résolue de placer désormais toute sa confiance approuvaient les motifs qui avaient guidé sa conduite.

Bientôt elle ne conserva pas à ce sujet le moindre doute ; quelques exclamations à la fois touchantes et sympathiques lui témoignèrent l’approbation du marquis et d’Herminie.

Lorsque tous deux eurent terminé cette lecture, la duchesse, essuyant des larmes d’attendrissement, dit à Ernestine :

— Ce n’est plus seulement de l’amitié que je ressens pour vous, Ernestine… c’est du respect, c’est presque de l’admiration… Combien, mon Dieu ! vous avez dû souffrir de ces doutes affreux ! quel courage il vous a fallu… pauvre petite… pour prendre toute seule un parti si grave, pour affronter une épreuve devant laquelle tant d’autres auraient reculé !… Ah ! du moins… j’ai pu vous offrir une affection… que vous avez dû croire aussi désintéressée qu’elle l’était réellement. J’ai pu vous prouver, Dieu en soit béni ! que vous pouviez, que vous deviez être aimée pour vous-même.

— Oh ! oui, — répondit Ernestine avec effusion, — c’est cela qui me rend cette amitié si douce et si précieuse.

— Herminie a raison, votre conduite est belle et vaillante, — dit à son tour le marquis non moins ému. — Les quelques mots que vous m’avez dits à ce sujet au bal d’avant-hier, ma chère enfant, ne m’avaient qu’imparfaitement instruit… Bien, bien, vous êtes la digne fille de votre digne mère…

Soudain, la duchesse, se souvenant de la promesse faite par Ernestine à Olivier, s’écria avec anxiété :

— Oh ! mon Dieu ! j’y songe, Ernestine… et l’engagement qu’hier vous avez pris en ma présence avec M. Olivier.

— Eh bien ! — répondit simplement mademoiselle de Beaumesnil, — cet engagement, je le tiendrai…


LIII.


M. de Maillefort, en entendant mademoiselle de Beaumesnil parler d’un engagement qu’elle avait pris avec M. Olivier et qu’elle voulait tenir, fut aussi inquiet que surpris, tandis que la duchesse reprit :

— Comment, Ernestine, cette promesse faite à M. Olivier… — Eh bien ! cette promesse… je vous le répète, ma chère Herminie, je la tiendrai… Ne m’avez-vous pas approuvée d’accepter l’offre de M. Olivier ? N’y avez-vous pas vu… comme moi… une garantie certaine pour mon bonheur à venir ? N’avez-vous pas enfin senti, comme moi, toute la générosité de la proposition qui m’était faite ?

— Sans doute… Ernestine, mais c’était à la pauvre petite brodeuse que s’adressait M. Olivier.

— Eh bien ! pourquoi sa générosité me paraîtrait-elle moindre à cette heure, ma bonne Herminie ? Pourquoi les garanties de bonheur que m’assurait cette offre ne seraient-elles pas maintenant aussi certaines ?

— Que vous dirai-je, Ernestine ?… je ne trouve rien à vous répondre… Il me semble que vous avez raison, et cependant… malgré moi, je me sens inquiète… Mais, tenez… ! vous ne pouvez avoir de secret pour M. de Maillefort. | — Non, certes, Herminie… et je suis sûre que M. de Maillefort m’approuvera.

Le marquis avait silencieusement écouté et réfléchi.

— Le monsieur Olivier dont il s’agit, — dit le bossu, — n’est-il pas le danseur qui vous a invitée par charité, et dont il est question dans votre récit, ma chère enfant ?

— Oui, monsieur de Maillefort, — répondit mademoiselle de Beaumesnil.

— Et c’est l’oncle de M. Olivier qu’Ernestine a l’autre jour sauvé d’une mort presque certaine, — ajouta Herminie.

— Son oncle ! dit vivement le bossu.

Puis, après un moment de-réflexion, il ajouta :

— Je comprends… la reconnaissance, jointe sans doute à un sentiment plus tendre… né lors de votre rencontre avec ce jeune homme chez madame Herbaut, lui a fait proposer à Ernestine, qu’il croyait abandonnée… malheureuse…

— Un mariage inespéré pour une pauvre orpheline… ainsi que je paraissais à ses yeux, — reprit mademoiselle de Beaumesnil, — car M. Olivier… vient d’être nommé officier, et c’est cette fortune qu’il a offerte à la pauvre brodeuse…

— Ne s’appelle-t-il pas Olivier Raimond ? — s’écria le bossu, comme si un souvenir lui revenait à l’esprit.

— Il s’appelle ainsi, — répondit Ernestine ; — vous le connaissez, monsieur ?

— Olivier Raimond, sous-officier de hussards et décoré en Afrique, n’est-ce pas ? — continua le marquis.

— Oui, monsieur de Maillefort… c’est cela même.

— Alors, c’est pour lui que moi, qui ne sollicite guère… j’ai sollicité, à la demande et en compagnie de mon brave et bon Gerald de Senneterre, qui aimait ce jeune homme comme un frère, — ajouta le bossu d’un air pensif.

Et, de nouveau, s’adressant à Ernestine :

— Mon enfant… c’est le meilleur ami de votre mère… c’est presque un père qui vous parle… Tout ceci me paraît fort grave ; je tremble que la générosité de votre caractère ne vous ait emportée trop loin… Ainsi, vous avez pris un engagement formel avec M. Olivier Raimond ?

— Oui, monsieur.

— Et vous l’aimez ?…

— Autant que je l’estime, mon bon monsieur de Maillefort.

— Je comprends, hélas ! ma chère enfant, qu’après les horribles révélations du bal d’avant-hier… vous sentiez plus que jamais le besoin d’une affection sincère, désintéressée ; je comprends encore que vous trouviez un charme… extrême, je dirai plus, des garanties peut-être réelles… dans l’offre généreuse de M. Olivier Raimond ; mais… cela n’empêche pas que vous n’ayez été au moins imprudente… en vous engageant formellement. Songez-y ! il y a si peu de temps que vous connaissez M. Olivier !

— Il est vrai, monsieur de Maillefort… mais il ne m’a pas fallu plus de temps, lorsque mes yeux se sont ouverts… pour reconnaître que vous m’aimiez avec la plus tendre sollicitude… et qu’Herminie était la plus noble créature qu’il y ait au monde. Allez, croyez-moi, monsieur de Maillefort, je ne me trompe pas davantage sur M. Olivier.

— Mon Dieu ! je désire vous croire, mon enfant. Ce jeune homme est le meilleur ami de M. de Senneterre… Pour moi, je l’avoue, c’est déjà une très bonne présomption… Puis, avant de m’intéresser au protégé de Gerald, craignant qu’il n’eût été aveuglé par son affection pour un ancien compagnon d’armes, je me suis informé de M. Olivier.